Adj. et n. m. Qui effectue une migration : population migrante.
(Larousse)
S’il est un élément difficile à fixer dans les débats sur l’immigration, c’est la catégorie utilisée pour décrire les populations concernées par ces débats. En quarante ans, ces catégories ont beaucoup changé : travailleurs immigrés, immigration familiale, maghrébins, « beurs », seconde génération, habitants des banlieues, musulmans, réfugiés, migrants, exilés, personnes en besoin de protection internationale, etc. Chaque catégorie renvoie à des situations spécifiques, des logiques sociales et des problématiques de la citoyenneté et du vivre ensemble très différentes.

Les non-dits de l’ethnicité
Un premier constat semble néanmoins s’imposer : ces manières de décrire le « qui ? » du débat sur l’immigration a toujours eu une forte connotation ethnique.
Socialement, médiatiquement et politiquement, l’immigré, c’est toujours l’immigré non-européen. Si, en France, à la différence d’autres pays, l’ethnicité n’a pas en elle-même été utilisée comme une catégorie formelle pour décrire l’immigration, des conceptions ethnicisées non dites se trouvent derrière les nombreux termes utilisés pour parler des migrants. Au point d’ailleurs que les populations qui n’ont aucune expérience migratoire mais qui sont d’origines non-européennes sont encore décrites comme des « immigrés », et cela même à la deuxième ou troisième génération. De là découle un second constat : ce qui lie toutes ces catégories dans le regard public, c’est l’appartenance (réelle ou supposée) à l’islam des personnes concernées.
Ces deux aspects majeurs qui font fonctionner des catégories ethniques sans le dire expressément et qui trouvent dans l’islam le fondement de cette différence (comme la « race » ou la langue aux États-Unis) expliquent que d’autres groupes d’immigrés en France sont restés peu visibles. Parmi ces groupes, on doit évoquer le cas des Portugais qui constituent depuis longtemps la première nationalité étrangère présente en France, devant les Algériens1. On doit également souligner la façon dont d’autres groupes numériquement importants ont été a priori épargnés par le discours sur le « communautarisme » parce qu’ils ne sont pas musulmans2.

Trois âges du débat sur l’immigration
Ce rapide rappel des différentes catégories de migrants permet d’identifier plusieurs âges du débat français sur l’immigration dans la période contemporaine : d’abord, un débat sur l’accès des immigrés postcoloniaux récemment sédentarisés et de leurs enfants nés en France à la nationalité française dans les années 1980 ; ensuite, sur les Français issus de l’immigration à partir de la problématique des banlieues et de l’islam dans les années 1990 et 2000, y compris avec la parenthèse de la lutte contre les discriminations puis la montée du thème de la « laïcité » ; depuis 2015, le débat est entré dans une nouvelle phase, en se concentrant sur les demandeurs d’asile et les réfugiés en lien avec la question des frontières européennes en Méditerranée, et avec ce qui a été appelé « crise migratoire » et qui n’a été en fait qu’une « crise de l’accueil », au moment de la crise syrienne et l’afflux de réfugiés que cette dernière a produit.
Une autre manière de mettre en lumière cette évolution, c’est d’observer les changements dans les paradigmes des politiques migratoires françaises sur la même période. Le paradigme de « l’immigration zéro », qui émerge à la fin des années 1980 et au début des années 1990, suggère que la seule façon de pouvoir réussir l’« intégration » des populations immigrées déjà en France, c’est de limiter au maximum les entrées. La contrepartie de « l’immigration zéro » est l’accent mis sur la catégorie du « clandestin », de l’immigré en situation irrégulière en France.
Au milieu des années 2000, apparaît un nouveau paradigme, celui de l’« immigration choisie ». On désigne par là l’immigration de travail (de fait, pourtant, quels que soient les motifs d’entrée, l’immigration est toujours in fine une question du travail car les migrants « familiaux » ou « réfugiés » travaillent aussi). À cette « immigration choisie » s’opposerait une « immigration subie », c’est-à-dire une immigration sur laquelle le gouvernement n’a pas de véritable pouvoir de contrôle – l’immigration familiale et l’asile – car il s’agit d’entrées protégées par le droit constitutionnel et le droit international, au nom du respect de droits fondamentaux des personnes.
« […] plutôt que de parler de citoyenneté en termes de principes de participation et de concorde nationale, les débats publics sur les “valeurs de la république” en ont fait un élément de l’identité culturelle (et non plus politique) de la France. »
Après 2015, la priorité va cette fois à l’accueil et l’intégration des réfugiés. La distinction opère alors entre ceux qui sont décrits comme les « vrais réfugiés » et ceux qui demandent l’asile mais qui n’auraient pas de véritable besoin de protection.
Le débat autour de l’actuel projet de loi marque sans doute un nouveau tournant, en allant plus loin encore dans l’ethnicisation de la catégorie de migrants parallèle à la culturalisation de la citoyenneté : plutôt que de parler de citoyenneté en termes de principes de participation et de concorde nationale, les débats publics sur les « valeurs de la république » en ont fait un élément de l’identité culturelle (et non plus politique) de la France. C’est une rupture importante au regard de ce que l’on revendique par ailleurs comme la tradition politique française (l’universalisme) héritée des Lumières. On confond désormais universalisme et uniformité culturelle – un « mode de vie » et une identité « judéo-chrétienne » qu’il s’agirait de « défendre ».
Le bon grain et l’ivraie ?
Bref, il y a toujours la catégorie édictée par l’objectif de la politique migratoire du moment et ceux qui sont accusés d’« abuser » de la procédure ou du système (« clandestins », immigration familiale, « faux réfugiés »). Cela organise une distinction entre les « bons » et les « mauvais » migrants, distinction artificielle car une même personne peut aisément tomber d’un côté ou de l’autre de ces catégories à différemment moments de sa vie – les « clandestins » régularisés par le travail deviennent des primo-migrants de travail ; les candidats à l’asile peuvent privilégier un pays d’accueil car ils y ont déjà des parents installés ; ceux qui fuient leurs pays le font pour des raisons économiques et politiques entremêlées, etc.
Aujourd’hui, le terme générique de « migrant » semble avoir remplacé dans le vocabulaire journalistique et politique la vieille figure de l’immigré. Mais ce terme ne renvoie pas à un statut précis. Il ne fait référence qu’à l’expérience migratoire des personnes. Ngram-Viewer montre également l’importance du terme « réfugié » dans le corpus et combien la période contemporaine illustre l’importance d’une question de l’asile comparable par son intensité aux périodes qui ont suivi les Première et Seconde Guerres mondiales.
Notes
1 Cordeiro, Albano. « Les Portugais et les marches de 1983 et 1984. Les dessous de la manipulation raciste de l’opinion publique distinguant des communautés “visibles” et “invisibles” », Migrations Société, vol. 159-160, no. 3, 2015, pp. 171-190. ↑
2 C’est ce que certains auteurs appellent « ethnic leveraging » (un effet de levier ethnique) : voir Bleich, Erik et Morgan, Kimberly. « Leveraging Identities », Theory and Society, vol. 48, n°3, pp. 511-534. ↑