Christophe Bertossi,
directeur de l’Idem
Introduction
Intégration
Communautarisme
Laïcité
Migrant
Islam
Citoyenneté
Discriminations
État-nation
Alors que le Sénat s’apprête à discuter un énième projet de loi sur l’immigration à partir du 6 novembre 2023, l’Idem propose de revenir sur les mots utilisés dans le débat.
Chaque lundi, l’Idem publiera l’analyse d’un mot important, pour aider à décrypter les véritables enjeux de l’immigration dans l’espace démocratique français, au-delà des idées reçues et des faux-semblants.
Une nouvelle loi en 2023 pour quoi faire ?
L’immigration est un thème politique qui s’est imposé depuis 40 ans. Il est un élément central de l’évolution politique qu’ont connue les démocraties libérales pendant cette période.
Après plus de 100 réformes du droit des étrangers en France depuis 1945, dont 29 lois depuis 1980 seulement, le gouvernement propose à nouveau un projet « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ».
On peut remarquer que les réformes sur le sujet ont toujours été présentées avec le même objectif à la clé : faire valoir un compromis entre le frein mis aux entrées et l’idée que ce « contrôle » accru serait la condition d’une meilleure « intégration ». Rien de nouveau donc, avec ce projet de loi porté par les ministres de l’Intérieur, de la Justice et du Travail.
On peut surtout s’interroger : l’inflation législative et réglementaire qui entoure l’immigration (une loi a été votée tous les 17 mois en moyenne !) est-elle le signe d’un problème spécifique de « contrôle » et d’« amélioration » des réalités migratoires qu’il faudrait résoudre ?
Ou s’agit-il plutôt de remettre à l’agenda politique un sujet clivant pour mobiliser un électorat sensible à cette question ? Et si tel est le cas, quelles sont les conséquences sur les manières de définir notre identité politique en tant que pays démocratique et d’immigration ?
Au-delà du flou des mots : lire entre les lignes
« Intégration », « communautarisme », « séparatisme », « laïcité », « crise migratoire », etc. Pourquoi les mots du débat public et politique sont-ils importants ? Parce qu’ils contribuent à obscurcir plus qu’ils ne permettent d’éclairer ce dont il est véritablement question.
Nous proposons donc de lire entre les lignes des discours qui vont accompagner les discussions sur le nouveau projet de loi. Plutôt que de proposer un glossaire, notre ambition est tout à fait l’inverse : il s’agit de mettre en lumière le flou qui entoure les termes retenus pour souligner les ambiguïtés, les transformations et la pluralité des significations qui les environnent et les malentendus qu’elles génèrent.
Comment expliquer que la question migratoire soit devenue l’une des plus politisées aujourd’hui dans le débat public ? Comment mesurer les effets que cette politisation a sur nos manières de parler de l’immigration et des immigrés ? Que disent ces mots de nous-mêmes, en tant que membres d’une société démocratique à la longue histoire migratoire ? La France est-elle encore une démocratie attachée aux principes qui fondent son pacte de citoyenneté, de solidarité et de travail ? Ou les mots sur l’immigration qui saturent une fois de plus l’espace politique et médiatique nous poussent-ils progressivement en dehors de la zone démocratique de la République ?
C’est à toutes ces questions que nous souhaitons répondre, mot par mot, au cours des prochaines semaines.
Pour en savoir plus sur la méthode
Pour rendre visible l’évolution des mots retenus et les remettre en perspective, nous avons utilisé l’application Ngram-Viewer, développée à l’Université de Harvard par des chercheurs en informatique et en linguistique.
Ngram-Viewer permet de réaliser des recherches dans un corpus constitué par les textes numérisés de Google Books, soit plusieurs millions d’ouvrages, dans huit langues. Le corpus « French 2019 » a été utilisé par défaut pour toutes les recherches ici. Comme son intitulé l’indique, ce corpus couvre une période qui va jusqu’à l’année 2019 (et qui commence dès le xvie siècle) et comprend tous les documents de langue française numérisés par Google Books (les ouvrages et une partie de la littérature d’expertise mais sans la presse ni les journaux scientifiques).
Les courbes produites indiquent la proportion des occurrences d’un mot ou d’un groupe de mot (par exemple « intégration des immigrés », ici trois mots) dans l’ensemble des expressions du même nombre de mots dans le corpus.