On ne sait plus de quoi on parle, des affirmations publiques peuvent sembler logiques et sensées alors qu’elles portent, en sous-texte, des attaques contre la démocratie, ses droits et ses libertés. Quand on entend des discours soi-disant raisonnables sur la nécessité de restreindre certains droits pour protéger « nos valeurs », il faut être vigilant. Parfois, des paroles qui paraissent pleines de bon sens cachent en réalité des idées nativistes, c’est-à-dire des idées qui cherchent à privilégier celles et ceux qui se disent natif·ves au détriment de celles et ceux considéré·es comme « arrivant·es ».
Celles et ceux qui affirment que les discriminations basées sur la race n’existent pas en France tout en se disant anti-racistes ne le sont pas vraiment. « Pour les anti-antiracistes, explique Alain Policar, la période coloniale étant terminée, il ne reste plus rien des anciennes structures coloniales. Il ne peut donc pas y avoir de racisme institutionnel, puisque les lois de la République sont les mêmes pour tous. Pourtant, les discriminations envers les personnes vues comme non-blanches sont permises par les institutions, alors que les acteurs ne sont pas nécessairement conscients du rôle qu’elles peuvent jouer. C’est ce fonctionnement intrinsèquement discriminatoire de nos institutions que met à jour le concept de racisme systémique. » En niant la réalité des discriminations, ces prétendu·es anti-racistes véhiculent des idéologies qui créent une grande confusion. Ils et elles affirment que tout le monde est traité de manière égale, mais cela cache souvent une volonté de maintenir le statu quo et de ne pas reconnaître les difficultés spécifiques que rencontrent certains groupes. Cela rend la lutte contre le racisme encore plus complexe, car il devient difficile de discuter des problèmes réels.
L’extrême droite n’a plus le monopole des discours identitaires et exclusifs. Ces idées sont maintenant présentes jusqu’à la gauche, comme en témoignent le Printemps républicain, à la droite du Parti socialiste, ou encore la ligne de Fabien Roussel au Parti communiste, justifiant discriminations et police de la pensée et des façons de s’habiller. L’interdiction de l’abaya dans les écoles à la rentrée 2023, décidée par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, illustre comment ces discours peuvent se manifester. Les décisions politiques limitant la liberté vestimentaire, sous prétexte de laïcité ou d’ordre public, sont des exemples clairs de cette dérive.
Ces discours nativistes proviennent donc aussi, aujourd’hui, de l’espace occupé par la social-démocratie et le libéralisme politique. Il n’y a plus un seul camp politique où l’on peut pointer du doigt ces idées; elles sont partout. Cela rend leur détection encore plus difficile car elles sont cachées derrière des discours de protection de la démocratie et des valeurs républicaines, ce qui peut sembler noble à première vue mais peut cacher des intentions discriminatoires.
Comment reconnaître un discours nativiste ?
Les nativistes défendent toujours moins de droits pour moins de monde. Ou alors, ils défendent les droits uniquement de certaines personnes « au nom de la démocratie ». C’est ce qu’a illustré, par exemple, le débat sur la loi immigration où l’on a vu des propositions de mesures priorisant la préférence nationale. Au nom de la protection des citoyen·nes français·es, il faudrait retirer des droits à celles et ceux considéré·es comme étranger·es. Cela peut sembler logique lorsque l’on ne réfléchit pas aux implications plus larges de ces mesures, mais cela crée une société divisée et inégalitaire.
Les nativistes prétendent être du côté de la raison, mais répètent des slogans et des affirmations moralisantes, en délégitimant le discours des personnes concernées, c’est-à-dire les personnes migrantes ou issues des minorités, les personnes sans emploi ou dans les métiers précarisés. En disqualifiant ces voix, les nativistes renforcent leur propre discours sans contradiction. La recherche fait également l’objet de critiques virulentes, comme le révèlent les attaques contre les prétendu·es islamo-gauchiste puis wokistes. Les sciences sociales ont ainsi été accusées
de maintenir une « culture de l’excuse », selon l’ancien Premier ministre Manuel Valls en 2016, ou d’encourager « l’ethnicisation de la question sociale » et de « casser la République en deux », selon Emmanuel Macron en 2020. Ces affirmations visent à diviser la société et à délégitimer des recherches importantes sur les inégalités et les discriminations.
Les nativistes parlent et agissent en fonction du passé. Ils ont pour image ce que doit être la société sur la base d’illusions de ce qu’a été le passé. On le perçoit, par exemple, dans le mythe de la grandeur du passé ressassé, à coup de symboles du roman national, dans le discours d’Emmanuel Macron, sans jamais projeter la France vers l’avenir. Mais c’est aussi Éric Zemmour qui affirme combien « sa connaissance de l’histoire l’[a] conduit à élaborer son programme politique », alors même qu’il n’hésite pas à déformer l’histoire au service de son idéologie réactionnaire. Cette fixation sur le passé empêche de construire un futur inclusif et moderne.
Démanteler les préjugés par l’expérience concrète
Le vote RN est fort dans les territoires qui accueillent peu de populations immigrées. À l’inverse, il est le moins fort là où l’on vit le plus au quotidien aux côtés de ces populations, comme l’analyse le démographe Hervé Le Bras à la veille des élections présidentielles et législatives de 2022. Cela montre que la méconnaissance alimente les peurs et les préjugés. Les estimations spontanées sur le nombre d’immigrés ou de musulmans sont toujours très largement supérieures à la réalité chiffrée objectivée. Par exemple, l’Eurobaromètre publié en avril 2018 indique que les habitants de l’Union européenne surestiment la proportion d’immigrants dans la population totale de leur pays.
Il faut travailler à faire remonter ces réalités, leurs rationalités, leurs contraintes en réunissant des praticien·nes venues d’horizons professionnels et institutionnels très différents. Ce que fera l’Idem : ouvrir des espaces de rencontres et d’échanges pour refaire démocratie, les pieds sur terre et la tête sur les épaules. En donnant la priorité à la réalité et en contrant les préjugés entretenus par le récit dominant, nous pouvons démanteler les préjugés et construire une société unie. Cela nécessite des efforts concertés pour informer, éduquer et favoriser les rencontres interculturelles.
Pour démanteler les préjugés, il faut avant tout ouvrir les yeux et les oreilles. Il s’agit d’écouter les expériences des autres, de comprendre les faits réels plutôt que de se fier aux stéréotypes et aux discours simplistes. Il est essentiel de promouvoir des politiques inclusives et de soutenir les initiatives qui favorisent la diversité et l’intégration. Seul un effort collectif et conscient peut nous permettre de dépasser les divisions et de bâtir une société où chacun se sent respecté et valorisé.