Derrière la crise démocratique, une révolution conservatrice – Revue du 18 mai 2024

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À propos des libertés académiques et du contexte universitaire, le politiste Jean-François Bayard évoque une « révolution conservatrice » pour décrire une police de la pensée qui s’exerce à chaque prise de position critique et à chaque mobilisation. Cette révolution n’est pas propre à l’université. Portée par de puissants moyens, elle s’infiltre dans les secteurs de la société où s’exerce la démocratie et où s’expriment les valeurs démocratiques : les médias, les lieux de délibération, les associations et bien entendu l’université. Dépolitisante, l’idéologie conservatrice tente d’imposer une vision de la société qui efface les différences de classe mais aussi de culture, de religion. Cette semaine jette une lumière crue sur la normalisation d’une gouvernance autoritaire, policière, opposée à la consultation.

En Nouvelle-Calédonie/Kanaky, les logiques anti-démocratiques du gouvernement ont provoqué une grave crise en lieu et place d’un processus de décolonisation fragile malgré toutes les alertes, y compris au sein de l’Assemblée nationale. Contre toute rationalité, plutôt que de chercher l’apaisement, le gouvernement s’est livré à sa stratégie habituelle : répression policière, refus du dialogue, délégitimation des mobilisations, injonction « républicaniste » et, pour la première fois, blocage d’un réseau social, ravivant le refoulé colonial.

Dans tous les secteurs qui nourrissent la vie démocratique, les appels à l’éthique et à la culture démocratique se multiplient. Souvent à l’appui d’outils de mesure et d’évaluation, les voix s’élèvent contre la bolorisation des médias qui une menace le renforcement démocratique en France, contre la perte de liberté scientifique et le dénigrement des savoirs critiques, contre la mise sous tutelle de la vie associative. Parmi ces expressions, une voix inattendue : celle du nouveau président du syndicat des commissaires de la police nationale qui en appelle à un débat démocratique sur les politiques de sécurité et à renouer un lien démocratique entre la police et la société. En Allemagne, la décision juridique de maintenir l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti d’extrême droite, sous surveillance est vue comme un renforcement de la démocratie.

Par sa surdité et sa raideur, le pouvoir voudrait réduire l’expression démocratique au vote en dehors duquel la société n’aurait rien à dire. Mais c’est oublier que la vie démocratique se nourrit dans la critique, la dispute, la délibération. Bref, dans une continuité avec la société.

Nouvelle-Calédonie : la décolonisation fait partie de l’idéal démocratique

L’Assemblée nationale a voté une loi de révision constitutionnelle modifiant le corps électoral des élections locales en Nouvelle-Calédonie. 351 député·e·s ont voté pour et 153 contre, avec une scission claire entre la gauche (LFI, socialistes et apparentés, gauche démocrate et républicaine, écologistes), ayant voté contre, et les autres. Dans la nuit du vote, près de 80 000 personnes auraient pris la rue. Au cours des jours qui ont suivi, il y a eu des feux et la destruction de commerces, de sites industriels, et d’habitations. D’importants effectifs de gendarmes et de policiers ont été déployés, provoquant des barrages et des affrontements où 3 jeunes kanaks et 2 gendarmes ont été tués — les jeunes kanaks, possiblement par des milices armées de colons anti-indépendantistes venus spontanément apporter leur “aide” aux “forces de l’ordre. Emmanuel Macron a déclaré l’état d’urgence mercredi 15, tandis que Gabriel Attal a annoncé l’interdiction de Tik Tok pour “lutter contre la désinformation”, décision critiquée d’illégale (car motif non prévu par la loi) par le juriste Nicolas Hervieu.

La loi votée vient contrer les accords de Nouméa (1998) qui limitaient le suffrage aux seules personnes inscrites sur les listes électorales en 1998 et leurs descendant·e·s. Ce gel du corps électoral excluait des élections locales les nouveaux colons et leurs descendant·e·s, soit une personne sur cinq (43 000 personnes), situation que Gérald Darmanin a qualifié de “contraire aux principes démocratiques et aux valeurs de la République”. La nouvelle loi incluerait dans les listes électorales toutes personnes née ou domiciliée en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 10 ans, soit un ajout de 25 000 personnes. Les indépendantistes kanaks s’y opposent car à terme cette modification constitutionnelle rendrait minoritaire l’électorat kanak, peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie. Le collectif Solidarité Kanaky a déclare : “L’État s’engage dans une modification brutale de toute l’organisation de la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie. C’est une façon de favoriser la recolonisation du territoire et l’invisibilisation du peuple kanak !

Le gouvernement français, seul responsable de la situation insurrectionnelle en Nouvelle Calédonie. Dès le 1er mai, le Collectif Solidarité Kanaky alertait sur le fait que le vote du dégel du corps électoral mettrait en question la stabilité politique du territoire. La loi présentée unilatéralement par le gouvernement contre l’avis unanime des indépendantistes est en violation de l’esprit des accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998), qui allaient dans le sens d’une reconnaissance des volontés d’autodétermination et de décolonisation du peuple autochtone kanak. En effet, le gel du corps électoral, qui avait été décidé dans l’accord de Nouméa, représentait un engagement de l’État pour rompre avec la logique de colonisation de peuplement en contrant le processus de minorisation du peuple Kanak sur son propre territoire. Le Collectif Solidarité Kanaky rappelle que la Nouvelle-Calédonie est “reconnue par l’ONU depuis 1986 comme territoire non autonome et est inscrite sur la liste des pays à décoloniser.” Plusieurs points centraux de l’accord de Nouméa n’ont toujours pas abouti (plus de 30 ans après sa signature), et les trois référendums sur l’autodétermination sont très contestés, notamment le dernier dont le calendrier a été imposé en pleine pandémie du Covid-19. C’est dans ce cadre d’imposition d’un processus contesté de consultation qu’arrive la loi de dégel (accompagnée d’ailleurs d’un projet de report des élections provinciales). Le Collectif Solidarité Kanaky déclare cette modification de l’organisation de la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie une façon de “mettre un terme au processus de décolonisation”, pourtant appelé par l’ONU. Par ailleurs, certains discours visent à délégitimer les mobilisations en cours, pourtant exceptionnelles, en rejetant la faute de la situation sur “une jeunesse délinquante”, sur les autorités coutumières et sur les indépendantistes. 

Collectif Solidarité Kanaky, “Kanaky-Nouvelle Calédonie : le dégel du corps électoral serait une rupture de la paix civile”, histoirecoloniale.net, 1er mai 2024

Collectif Solidarité Kanaky, “Kanaky/Nouvelle-Calédonie : la lourde responsabilité du gouvernement français”, histoirecoloniale.net, 15 mai 2024

La réponse d’Emmanuel Macron à la situation est la répression. Alors que le Haut-commissaire de la République de la Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, demande un appel au calme, Macron déclare que toute violence fera “l’objet d’une réponse implacable”. En tout, 2 300 policiers et gendarmes sont déployés sur le territoire. L’éclatement de la mobilisation n’était pourtant pas une surprise et cela fait un moment que les actions du gouvernement contribuent à l’escalade. Pour la sociologue Nacira Guénif-Souilamas, “[l]e dégel électoral n’est qu’un motif de colère parmi beaucoup d’autres dont les discriminations que subissent les Kanaks au quotidien. L’État les maintient dans un système discriminant et paternaliste.” Selon l’Insee, 19 % de la population vivaient sous le seuil de pauvreté en 2020, tandis que de gros industriels français ont la mainmise sur l’extraction du nickel. 

Bloquer TikTok : une première dans une démocratie occidentale. Le gouvernement a décidé de bloquer TikTok en Nouvelle-Calédonie sans donner de motivations précises. Cette mesure, facilement contournable via un VPN ou l’utilisation d’autres applications, donne l’impression d’une action rapide et visible sans coût. Sur le plan juridique, la légalité de cette mesure est incertaine et aurait été difficile à mettre en œuvre en France métropolitaine en raison des directives européennes. Après la mort de Nahel Merzouk en 2023, Emmanuel Macron avait suggéré de bloquer les réseaux sociaux pour stopper les révoltes, mais cela n’a pas été mis en œuvre en raison des obstacles juridiques. “En tout état de cause, ce cas de blocage d’un réseau social dans son ensemble est sans aucun équivalent dans un pays démocratique. La Nouvelle-Calédonie sert donc en quelque sorte de ballon d’essai à ce genre de mesure”, s’inquiète Pierre Bessac, porte parole du Parti pirate. Ce blocage inédit pourrait servir de précédent pour de futures propositions législatives, bien que celles-ci risquent d’être contestées par l’UE.

Face à la mesure des discriminations,
pas de vraies mesures 

Les violences envers les minorités sexuelles et de genre en Europe ont augmenté au cours des cinq dernières années, selon un rapport de l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA) publié le 14 mai. Issus d’une enquête menée auprès de 100 000 personnes, les résultats montrent une hausse des victimes de violences à 14 %, avec une augmentation notable du harcèlement, touchant désormais plus de la moitié des personnes interrogées (37% en 2019). À l’école, les actes d’intimidation ont également augmenté, passant de 46 % en 2019 à deux tiers des répondants. Malgré ces chiffres, seulement 11 % des incidents de discrimination ont été signalés aux autorités. Ce rapport révèle un paradoxe européen : malgré une plus grande ouverture sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, les violences restent élevées. En France, 60 % des personnes LGBT+ évitent de tenir la main de leur partenaire en public par peur des agressions. En Hongrie, seulement 3 % des personnes LGBT+ pensent que leur gouvernement lutte contre les préjugés et l’intolérance. Ce chiffre est le plus bas de l’UE, où la moyenne s’établit à 26 %. La FRA appelle à une culture de tolérance zéro envers la violence anti-LGBT+ et recommande de traiter les préjugés dans les algorithmes et de veiller au respect de la législation par les plateformes numériques. Cette publication intervient avant la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie du 17 mai.

Dans le milieu universitaire, les discriminations sont vécues comme une fatalité. Une étude soutenue par le Défenseur des droits, publiée le 24 avril 2024, révèle une sous-déclaration des discriminations vécues par les victimes. L’étude menée dans le cadre d’un projet de recherche montre que malgré les politiques de promotion de l’égalité, des obstacles significatifs entravent le signalement des discriminations. Seuls 13,2 % des étudiants et 46,5 % du personnel signalent les discriminations subies (sexisme, racisme, LGBT-phobie, motif syndical ou politique, validisme, classisme). Les obstacles incluent une faible connaissance des dispositifs disponibles et un sentiment d’illégitimité. Les membres les plus précaires du personnel sont particulièrement réticents à signaler les discriminations, bien que l’expérience syndicale ou militante puisse encourager ces démarches. Lors des rares signalements, l’inaction institutionnelle est courante, surtout concernant les violences sexistes, sexuelles et racistes. Les dispositifs disciplinaires existent mais sont rarement utilisés : seulement 3,8 % des étudiants et 6,5 % du personnel ont vu le déclenchement d’enquêtes internes. Les signalements aboutissent souvent à des « arrangements informels » ou à des représailles contre les victimes, sans sanctions pour les auteurs. Cette situation a des effets délétères sur les victimes et l’institution universitaire, contribuant à la persistance des discriminations et ayant des conséquences néfastes sur les parcours individuels, tels que l’abandon des études ou des séquelles physiques et psychiques.

L’Association des Plateformes d’Indépendants signe un accord visant à lutter contre les discriminations. Une enquête sectorielle de l’Association des plateformes d’indépendants (API) menée auprès de 4 500 livreurs des plateformes (Uber Eats, Deliveroo et Stuart) révèle que trois quarts d’entre eux ont déjà subi des discriminations liées à l’origine ou 40% à l’apparence physique. 60 % des livreurs ne connaissent pas leurs droits en cas de discrimination. Un dispositif d’alerte a été créé pour lutter contre ce phénomène, selon une annonce de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) le 13 mai 2024. Un accord entre les plateformes et les organisations de travailleurs indépendants (UNION-Indépendants, FNAE, SUD Commerces et services) prévoit plusieurs mesures : la création d’un Observatoire des discriminations pour mener une enquête annuelle sur les discriminations subies par les livreurs, un système d’alerte accessible via les applications des plateformes pour signaler les discriminations ; la diffusion d’un guide sur les comportements discriminatoires et une assistance téléphonique pour les démarches juridiques ; une compensation financière pour les livreurs dont le compte est suspendu puis réactivé après une enquête.

Une étude confirme que la discrimination est un déterminant social de la santé. Des chercheurs de l’université de New York ont étudié l’impact de la discrimination sur le vieillissement biologique. À partir de 1 967 personnes, ils ont analysé la méthylation de l’ADN, un marqueur du stress et de la discrimination, en lien avec des témoignages de discriminations quotidiennes (manque de respect), majeures (insultes, menaces physiques) et professionnelles (injustices au travail). Ils ont découvert que la discrimination accélère le vieillissement biologique, surtout pour les discriminations quotidiennes et majeures, et dans une moindre mesure, pour celles au travail. Le tabagisme et l’indice de masse corporelle (IMC) expliquent environ la moitié de ce lien, avec le stress, le cortisol et le sommeil insuffisant qui jouent également un rôle. Les résultats montrent des variations selon les groupes. Les personnes noires, signalant plus de discriminations, présentent un vieillissement biologique plus rapide. Les blancs, moins souvent victimes, montrent une plus grande sensibilité aux effets lorsqu’ils en souffrent. Les chercheurs soulignent l’importance de lutter contre toutes les formes de discrimination pour promouvoir un vieillissement sain et l’équité en santé.

L’autorité n’est pas une finalité, c’est un prérequis pour vivre librement.

Retisser le lien entre la police et la population : un discours rare au sein de la police. Interrogé par Le Monde, Frédéric Lauze, nouveau président du Syndicat des commissaires de la police nationale, propose une approche singulière au sein des syndicats de police qui met en avant la question de la démocratie dans la relation entre la police et la population. Tout en insistant sur la nécessité de garantir le respect de l’autorité des policiers et de mieux comprendre le phénomène de la délinquance en acceptant d’entrer dans l’analyse, il reconnaît l’échec d’une police déconnectée de la population et du territoire. « Le premier atout d’un policier, ce n’est ni le code de procédure pénale ni le SIG Sauer, mais la confiance de la population. » Selon Lauze, une approche exclusivement axée sur l’intervention nuit à cette confiance et alimente les tensions. Il appelle à une réforme de la stratégie policière, intégrant des éléments de proximité, de prévention et de partenariat avec la communauté pour instaurer un climat de confiance et de sécurité durable. “Nous vivons dans une démocratie : le droit à la sûreté est un droit fondamental.” Enfin, il souligne l’importance d’un débat démocratique sur les politiques de sécurité, affirmant que « le rapprochement police-population n’est pas un poncif bien-pensant. En démocratie, il est absolument indispensable. (…) l’autorité n’est pas une finalité, c’est un prérequis pour vivre librement » Pour lui, cela implique d’engager un dialogue approfondi et transparent sur les enjeux de la sécurité, en prenant en compte les droits fondamentaux des citoyens dans toutes les décisions et actions de la police. 

Les gendarmes impliqués dans la mort d’Adama Traoré ne seront pas jugés. La cour d’appel de Paris a confirmé l’abandon des poursuites contre les gendarmes impliqués dans l’arrestation et la mort d’Adama Traoré le 19 juillet 2016, malgré une demande d’appel de la famille. Pour l’avocat de la famille, Yassine Bouzrou, cette décision “déshonore l’institution judiciaire” à l’issue d’une “enquête partiale” qui a notamment vu le refus d’une reconstitution des faits. Malgré des réquisitions du parquet général reconnaissant un lien entre l’interpellation et la mort de Traoré, l’absence de charges a été confirmée en raison d’un manque de preuves d’intentionnalité. La mort d’Adama Traoré, considérée comme un symbole des violences policières et du racisme, reste une source de tension en France. La famille a annoncé se pourvoir en cassation. 

Les opérations “place nette”: un important dispositif, peu de résultats et beaucoup de stigmatisation. Le 14 mai, les sénateurs de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France ont publié un rapport critiquant sévèrement les opérations « place nette » initiées par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Le rapport, basé sur 158 auditions réalisées entre novembre 2023 et mai 2024 sous la présidence du socialiste Jérôme Durain, expose l’ampleur du problème du narcotrafic en France. Il met en avant la réalité du trafic de drogue qui infiltre de nombreux secteurs, exacerbant la violence et menaçant la stabilité des institutions. Les sénateurs ont formulé 35 propositions pour améliorer la lutte contre le trafic de drogue en visant prioritairement les têtes de réseaux. Le rapport dresse un bilan négatif des opérations « place nette », jugées inefficaces. Entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024, 473 opérations ont été menées, mobilisant plus de 50 000 gendarmes et policiers. L’ampleur du dispositif n’a permis de saisir qu’à peine 40 kilogrammes de cocaïne et quelques millions d’euros. Comparativement, les opérations de « pilonnage » de 2023 avaient permis des saisies beaucoup plus importantes, notamment 425 kilogrammes de cocaïne et 13,7 millions d’euros d’avoirs criminels. La stratégie de Darmanin est également pointée du doigt, lorsqu’il accuse les enquêteurs et magistrats de retarder les actions en attendant des enquêtes « parfaites ». Les sénateurs estiment que l’occupation de l’espace public par la police n’a de sens que si elle est accompagnée d’enquêtes approfondies pour identifier et punir les principaux responsables du trafic. À cet égard, le rapport souligne que les opérations « place nette » n’ont pas réussi à déstabiliser le business des trafiquants, comme l’a montré l’opération XXL à La Castellane, Marseille, le 18 mars 2024, où les trafiquants ont repris leurs activités après l’intervention policière.Enfin, le rapport apporte un éclairage sur l’absence de profil type des consommateurs et des criminels.

La problématique du narcotrafic ne se cantonne pas aux quartiers périphériques des grandes agglomérations comme le commente Jérôme Durain : “Quand on regarde les profils recherchés prioritairement par l’Office anti-stupéfiants (OFAST), il y a une sociologie du narcotrafic qui est une sociologie de la pauvreté, de l’exclusion. Il y a des raisons qui expliquent cette origine. En revanche, il y a aussi des tueurs des tueurs à gage qui sont des jeunes gens issus de familles bourgeoises, de familles plus installées qui ne sont pas forcément issues des quartiers. Donc, il ne faut pas réduire une criminalité à certains quartiers.

Le gouvernement avance son agenda en matière de vidéosurveillance algorithmique (VSA). Alors que les premiers pas dans l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) initiée par la loi sur les Jeux Olympiques peinent à donner des résultats et que toute évaluation sérieuse est encore en attente, le gouvernement continue d’avancer. Le 15 mai, la commission des lois de l’Assemblée débat d’une proposition de loi visant à légaliser une autre forme de VSA dite “a posteriori”, cette fois-ci au nom de la sécurité dans les transports. La VSA « a posteriori » permet d’automatiser la recherche dans les archives vidéo en identifiant des critères spécifiques, entraînant ainsi une surveillance généralisée et illégale. Le gouvernement cherche à la légitimer sous prétexte d’expérimentations encadrées, favorisant ainsi une intrusion croissante dans la vie privée des citoyens. Le processus législatif, qui entoure cette proposition de loi, révèle également un mépris pour la démocratie parlementaire, avec un examen précipité du texte sans consultation ni débat approfondi. Dans l’opacité et l’absence d’informations se profile une avancée sécuritaire majeure, qui annonce le projet de généralisation à long terme de la surveillance algorithmique des espaces publics.

Le rapport annuel de Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), dresse un tableau sombre des conditions carcérales en France. Ce rapport de près de 200 pages, publié le 15 mai malgré l’annulation de la conférence de presse en raison de l’attaque mortelle contre deux agents pénitentiaires, découle de 110 visites de contrôle et de nombreux courriers reçus. Dominique Simonnot s’interroge sur la tolérance sociétale envers de tels traitements inhumains et souligne la difficulté de défendre les droits des prisonniers, souvent ignorés par la société. Le rapport décrit “une chaîne qui déraille”, allant de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à l’enfermement en prison, tous les maillons souffrant de manques de moyens humains et financiers, de défauts de recrutement et de graves troubles psychiques non traités. La situation en psychiatrie est particulièrement alarmante, avec une pédopsychiatrie quasiment absente dans de nombreux départements, entraînant des violations graves des droits des patients. La surpopulation carcérale est inédite, atteignant une densité moyenne de 125 %, et dépassant souvent 200 % dans les maisons d’arrêt. Plus de 3 300 détenus dorment sur des matelas au sol, et cette promiscuité extrême entraîne une détérioration rapide des conditions de vie, augmentant les violences et rendant les activités quasi impossibles. Pour améliorer cette situation, la rapporteure propose d’instaurer une régulation carcérale légale, confiée à une commission locale présidée par l’autorité judiciaire, visant à maintenir la densité carcérale en dessous d’un certain seuil. Cette proposition, formulée pour la première fois en 2017, n’a toujours pas été mise en œuvre.

L’adoption définitive du Pacte sur l’asile et l’immigration renforce les politiques migratoires indignes en Europe

L’Union européenne a définitivement adopté le pacte sur la migration et l’asile ce mardi 14 mai. L’événement marque un tournant pour la coopération entre États en termes de contrôle migratoire, mais poursuit la tendance de traitement répressif des migrant·e·s, considéré·e·s comme indésirables. Parmi les eurodéputé·e·s français·es, le pacte a largement été rejeté à l’exception des macronistes, mais les motifs de ce rejet varient considérablement selon le bord politique. Sur l’ensemble du texte, la gauche juge le projet déshumanisant, tandis que la droite le juge trop “laxiste”. 

L’impact des décisions de l’UE au-delà des frontières de Schengen et de la démocratie. En Tunisie, les violences à l’égard des migrants subsahariens, mais également la répression à l’égard des défenseurs de droits et des militants associatifs se poursuivent, facilitées par un fond européen. En Libye, l’UE a fourni un soutien financier et logistique pour former et soutenir les garde-côtes libyens, réduisant ainsi les départs mais exacerbant les souffrances des migrants confrontés à des abus graves. Un nouvel accord avec l’Égypte vise à freiner l’immigration égyptienne vers l’UE, mais soulève des inquiétudes concernant les droits de l’homme. En Mauritanie, l’UE finance la gestion des migrants en échange de l’accueil des exilés et du blocage des départs vers les Canaries. La Haute Cour de Belfast a invalidé des parties de la loi britannique autorisant l’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda depuis l’Irlande du Nord sur fond d’atteinte aux droits humains. Cette décision crée un obstacle significatif à l’application de la loi anti-immigration en Irlande du Nord, mais Rishi Sunak a affirmé que cela n’affecterait pas la légalité du texte au Royaume-Uni. Les premières expulsions sont prévues en juillet, sur fond de tensions diplomatiques entre Londres et Dublin, de manifestations et de recours judiciaires.

En Europe, le traitement violent des migrant·e·s est un trait commun. Des témoignages remontent de violences policières contre les personnes tentant d’atteindre l’Angleterre depuis les côtes françaises, notamment des crevaisons délibérées de bateaux en pleine mer. Le Royaume-Uni finance un important dispositif policier en France, qui contribue à la prise de risques et à l’augmentation des décès. En France, une enquête d’Action contre la faim révèle une crise humanitaire grave : 53 % des mineurs isolés de moins de 16 ans à Paris souffrent de “faim sévère”. Non reconnus comme mineurs et donc exclus de l’aide sociale à l’enfance, ces jeunes errent dans la rue dans un environnement marqué par la politique de “zéro point de fixation”, dépendants d’une aide alimentaire souvent saturée et inadaptée pour elles et eux, les exposant à des risques de violences. Pourtant, le gouvernement projette de réduire encore plus les droits des personnes sans papiers. Le gouvernement travaille sur une réforme de l’Aide Médicale de l’État (AME) réduisant l’accès aux soins médicaux de personnes en situation administrative irrégulière, aujourd’hui garantie. Des organisations de la société civile et des professionnels de santé s’inquiètent du fait que les nouvelles conditions envisagées risquent d’aggraver les situations de dépendance et de violence conjugale pour les femmes.

L’obsession du contrôle migratoire en France néglige l’immigration qualifiée, moteur d’innovation pour les entreprises. En moyenne, l’immigration fait l’objet d’un projet de loi tous les dix-huit mois en France, se concentrant surtout sur l’immigration non qualifiée ou des réfugié·e·s. Le discours politique et médiatique sur les migrations laissent de côté l’immigration qualifiée, alors qu’il existe en Europe une volonté d’attirer davantage de travailleur·euse·s hautement qualifié·e·s. Il n’existe cependant pas de programme spécifique en France. Des recherches suggèrent que les immigrant·e·s hautement qualifié·e·s contribuent à l’innovation et au dépôt de brevets (+10% de la part des immigré·e·s qualifié·e·s dans l’emploi total entraînerait une augmentation de 4,1 % du nombre de brevets par entreprise en France).

Gianluca Orefice, “L’immigration qualifiée, moteur de l’innovation des entreprises”, The Conversation, 12 mai 2024

Quid du droit à l’information dans un champ médiatique aux mains de milliardaires réactionnaires ?

Le macro-lepénisme est une réalité médiatique. Le rapport adopté de la commission d’enquête sur la Télévision numérique terrestre (TNT), présidée par Aurélien Saintoul (LFI), “participe d’un moment de clarification générale” : les médias Bolloré diffusent l’idéologie de l’extrême-droite dont les macronistes s’accommodent bien. La commission d’enquête avait notamment pour but d’interroger les effets de la libéralisation de l’audiovisuel sur la qualité des programmes, habituellement renouvelés sans grande considération de leurs responsabilités à l’égard du public. Le rapport, fruit de plusieurs mois d’auditions de 165 acteur·ices du monde audiovisuel, comporte 47 propositions de réforme dont certaines ont fait l’objet d’opposition de la part des député·e·s de la majorité. Parmi les propositions discutées figurent l’abandon de la fusion des entités de l’audiovisuel public et l’exclusion des émissions religieuses de la TNT. Certaines mesures visant à protéger l’indépendance des rédactions n’ont pas fait l’objet d’un consensus et ont été votées en mentionnant qu’elles n’engageaient que le rapporteur. D’autres mesures ont pour objectif de renforcer le travail de l’autorité indépendante de régulation, l’Arcom. Selon Aurélien Saintoul, le travail de la commission n’a fait que confirmer une tendance que l’on retrouve à travers d’autres processus du débat public : les macronistes s’allient à l’extrême-droite par cynisme, calcul politique ou apathie… tout autant d’éléments qui priment sur l’éthique démocratique. Par ailleurs, le député déplore “un problème de représentation de la société à la télévision”, en particulier en ce qui concerne la représentation des classes populaires. Il remarque également que “la liberté totale de la presse n’est pas le synonyme parfait de la liberté d’expression.”

Vu d’Afrique du Sud, le rapt de Vincent Bolloré sur la télévision du continent africain inquiète. L’une des plus grandes transactions médiatiques au monde – et la plus grande jamais réalisée sur le continent africain – est en cours de négociation en Afrique du Sud. Vincent Bolloré, décrit comme le Murdoch français, tente d’intégrer le plus grand diffuseur d’Afrique dans son empire médiatique d’extrême-droite. Le groupe Bolloré est le plus grand fournisseur de télévision par satellite en Afrique francophone via Canal+. Il souhaite racheter l’autre grand fournisseur du continent, MultiChoice, basé en Afrique du Sud. Si la transaction aboutit, cela lui donnerait accès à des dizaines de millions de foyers africains. Il s’agirait d’un monopole presque total de la télévision par satellite sur le continent et d’un danger pour la démocratie en Afrique, alors que Vincent Bolloré s’arme peu de déontologie pour orienter la presse selon ses propres intérêts comme en témoignent la suspension du signal de trois chaînes par Canal+ qui critiquaient le chef de la junte en Guinée ou encore l’utilisation de Canal+ au Togo pour diffuser un reportage flatteur sur le pays et son président pour servir ses affaires.

Simon Allison, “Africa’s biggest-ever media deal opens the door to far-right nonsens”, The Continent, 11 mai 2024 n°161, p. 9-11.  

Mobilisation contre la réforme de l’audiovisuel public. Le député Quentin Bataillon propose que franceinfo TV remplace éventuellement France 24 sur le plan international, dans le cadre d’une réforme de l’audiovisuel public qui sera discutée les 23 et 24 mai à l’Assemblée nationale. Cette idée suscite des levées de bouclier. La directrice de France 24, Vanessa Burggraf, défend la spécificité et l’importance de la chaîne internationale : « À travers le travail et l’expertise de ses journalistes et correspondants, France 24 s’est imposée en 18 ans dans le paysage audiovisuel mondial avec 140 millions de téléspectateurs et internautes chaque semaine sur les 5 continents. Une référence ! » La CFTC France Médias Monde et la société des journalistes de France 24 partagent cette indignation. Le projet de réforme de l’audiovisuel public prévoit la fusion de France Télévisions, Radio France, l’Ina et France Médias Monde (RFI et France 24). Face à “des visions politiques et comptables dénuées d’ambition et de sens » (CFTC France Médias Monde), les syndicats de France Télévisions et Radio France appellent à faire grève les 23 et 24 mai.

Un nouveau milliardaire réactionnaire à la tête d’un organe de presse. Le groupe CMI France annonce être en négociation exclusive avec Pierre-Edouard Stérin, milliardaire cofondateur de Smartbox, pour la vente de l’hebdomadaire « Marianne ». Cette annonce a provoqué des réticences au sein de la rédaction, inquiète des intentions conservatrices et catholiques de Stérin, qui serait prêt à financer l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires, moteur de la lutte anti-woke. Celui-ci a accepté de maintenir Natacha Polony à la tête de « Marianne » et de respecter sa charte éditoriale. Cependant, les salariés demandent des garanties supplémentaires : une charte de déontologie pour éviter toute intervention de l’actionnaire, un droit de vote sur la nomination de la direction de la rédaction, et des sièges au conseil d’administration pour les membres de la rédaction. Ces conditions ont été unanimement votées par l’assemblée générale des journalistes. Dans un communiqué, les salariés ont rappelé les principes fondateurs de « Marianne », notamment la lutte contre le nationalisme et le cléricalisme. Stérin a déclaré vouloir préserver la ligne éditoriale et l’indépendance du journal, affirmant qu’il souhaitait investir pour des raisons de pluralisme et de liberté. Stérin, qui a déjà investi dans divers médias, cherche à acquérir un titre bien établi dans le paysage médiatique français. 

« Sans une information indépendante, il ne peut y avoir d’authentique délibération démocratique. » La presse en France est de plus en plus sous l’emprise de quelques magnats des médias qui menacent son indépendance par des atteintes à la liberté éditoriale, la précarisation croissante des journalistes, la promotion d’agendas politiques d’extrême droite, des offensives judiciaires pour dissuader les journalistes d’enquêter. De son côté, l’État ne rééquilibre pas la situation. D’une part, l’audiovisuel public est menacé par des réformes de restructuration. De l’autre, les subventions publiques accordées à la presse sont captées par les grands médias. Malgré de nombreuses alarmes, le paysage médiatique français se détériore progressivement, et cela s’accompagne de multiples violations du droit à une information pluraliste et de qualité. Il est crucial de rappeler que la liberté de la presse ne concerne pas seulement les professionnels de l’information, mais avant tout les citoyens, car elle garantit leur droit à l’information, nécessaire pour une véritable démocratie, comme le soulignent les lois et jurisprudences constitutionnelles ainsi que la Cour européenne des droits de l’Homme. Le Fonds pour une presse libre soutient les médias indépendants qui  “tentent de produire un journalisme de qualité, indépendant, et de reconstruire une relation avec des publics qui ne font plus confiance et se détournent des médias de masse”.

Fonds pour une presse libre, “Liberté des médias : En France, péril sur l’information entre crise, concentration et dépendance”, Fondation Heinrich Böll, 25 avril 2024

Universités, laboratoires de la division

Dans l’enseignement supérieur, les dynamiques récentes ont renforcé un phénomène de polarisation sociale. Les universités de province et des quartiers populaires, telles que Sorbonne-Paris Nord (Villetaneuse), l’Upec ou encore Montpellier-III, sont au bord de la rupture. Ce sont d’abord des problèmes de vétusté des locaux. Un tiers du patrimoine universitaire serait dans un état peu ou pas satisfaisant. Viennent ensuite les problèmes de sous-financement chronique qui ne permettent pas d’assurer ni l’entretien du bâti ni des conditions d’enseignement satisfaisantes face à une démographie en croissance. Entre 2008 et 2021, le nombre d’étudiants a augmenté de 25 %, mais le budget de l’enseignement supérieur a progressé de moins de 10 %. Pour leur part, les fonds versés par l’État liés spécifiquement au bâti stagnent depuis plus de dix ans. Malgré la démographie croissante, le nombre d’enseignants statutaires n’a pas augmenté. Les vacataires précaires sont aujourd’hui majoritaires. « La question du bâti et de son délabrement éclaire en fait toutes les inégalités entre élèves, et entre établissements du supérieur : d’abord entre universités et grandes écoles type Sciences Po, mieux loties, et désormais entre universités elles-mêmes, analyse la sociologue Annabelle Allouch. Mais elle renforce aussi ces inégalités, en encourageant des étudiants à adopter des stratégies d’évitement de certains campus. » Et les plans de rénovations ont accru ces écarts, laissant de côté certains établissements. Les étudiants y sont résilients. « Pour beaucoup issus de classes moyennes et populaires, ayant aussi écopé de mauvaises conditions au collège et lycée, ils sont souvent déjà reconnaissants d’arriver à la fac et prennent sur eux », observe Stéphane Chameron, enseignant à l’Université Sorbonne-Paris Nord. Malgré ces défis, les établissements s’efforcent de maintenir leur mission de service public. La situation soulève des inquiétudes quant à l’avenir de l’enseignement supérieur public en France et à la montée en puissance des établissements privés, tandis que les enseignants expriment un sentiment de dévalorisation et de fatigue. À l’université comme à l’hôpital, l’avenir est-il à la mort du service public ?

Dans les universités, notamment en France, les interférences politiques illustrent une tendance à restreindre la liberté académique. Gabriel Attal et Valérie Pécresse, parmi d’autres, menacent de sanctions financières des institutions universitaires, comme Laurent Wauquiez, coutumier d’ingérence politique dans la sphère universitaire. “À chaque fois, le prétexte est le même : une mobilisation étudiante ou la tenue d’une réunion accusée de “wokisme”, d’“islamo-gauchisme” ou d’“antisémitisme”, sur la base de fake news colportées par les réseaux sociaux, l’extrême droite, l’appareil diplomatique israélien ou des médias dont la boussole est devenue CNews. Ces supputations ne correspondent pas à la véracité des faits pour qui les observe sur le terrain.” On retrouve cette instrumentalisation politique de l’enseignement supérieur à l’étranger dans de récentes affaires, notamment en Italie, en Israël et aux États-Unis. Quel est le point commun de ces remises en cause de la liberté scientifique ? “C’est qu’elles surviennent dans des États dont les gouvernements sont issus d’élections libres. Il n’est plus de secteur où la liberté de recherche, de pensée, d’expression échappe à la police : celle des mots et des idées, à l’initiative des autorités politiques, et sous la pression constante non seulement des réseaux sociaux, mais aussi de médias transformés en instruments de propagande par les entrepreneurs qui en ont pris le contrôle, voire d’intérêts étrangers.” Les menaces croissantes qui pèsent sur la liberté académique signalent une “révolution conservatrice” face à laquelle il est urgent d’agir, en France et ailleurs. La campagne électorale européenne est appelée à placer ces questions au centre du débat, tout en prenant en compte la mobilisation étudiante et les répressions subies.

Répression policière et entraves démocratiques, la dérive du macronisme évaluée

Mobilisations contre l’autoroute A69 : la gestion policière contre la démocratie. L’Observatoire toulousain des pratiques policières (OPP) révèle des entraves à la liberté d’information, une militarisation disproportionnée et des stratégies de « pourrissement » et de « submersion » dangereuses pour les manifestants. Le rapport de 44 pages publié le 13 mai sur la répression policière des opposant·e·s à la construction de l’autoroute A69 repose sur des observations des membres de l’OPP entre le 10 février et le 24 mars des interventions policières à Saïx, où des militants écologistes tentaient de protéger une zone à fort enjeu écologique en occupant des arbres. À partir du 15 février, les forces de l’ordre ont restreint l’accès au site, empêchant journalistes et observateur·ice·s de circuler librement. Le déploiement massif de forces, avec parfois jusqu’à cinquante gendarmes et policiers, et l’utilisation de matériel militaire, comme des blindés et des grenades lacrymogènes, ont marqué les observateur·ice·s. L’OPP critique également la méconnaissance par les forces de l’ordre des textes régissant le droit de manifester et la gestion des manifestations. Le rapport souligne que la répression des manifestations écologistes à Saïx est symptomatique d’une tendance plus large en France, caractérisée par une instrumentalisation de la police à des fins politiques. Les observateurs appellent à une réflexion sur la proportionnalité et la nécessité des interventions policières dans ce type de mobilisation.

Le contrat d’engagement républicain, une arme contre la vie associative et la démocratie. Inscrit dans la loi sur le séparatisme de 2021, le contrat d’engagement républicain (CER) a été mis en place pour prétendûment combattre l’islamisme radical et d’autres formes de séparatismes, mais son utilisation est loin des ambitions initiales. Sur les 24 cas recensés, seulement trois concernent des associations musulmanes, loin des objectifs annoncés. Comme le souligne l’Observatoire des libertés associatives, le CER a été invoqué dans des situations variées, allant de la répression de la désobéissance civile à la sanction d’engagements jugés non conformes. Ainsi, des associations comme Alternatiba Poitiers, l’Atelier populaire d’urbanisme (APU), ou encore Canal Ti Zef à Brest ont été confrontées à son utilisation, bien que leurs activités n’aient rien à voir avec l’islamisme radical. Un rapport du Sénat, rendu en mars 2024, indique que seuls quatre cas d’application ont été recensés, autrement dit, un échec pour le gouvernement. Cependant, l’introduction du CER a eu des répercussions négatives sur la vie associative, entraînant une forme d’autocensure et limitant la liberté d’action et d’expression des associations. Comme le souligne Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, certaines municipalités ont mal interprété le contrat, l’utilisant comme un moyen de pression pour réguler les relations avec les associations. Les libertés associatives et la diversité des voix dans le débat public s’en trouvent abîmées. « Les associations ne sont pas là pour faire plaisir aux pouvoirs publics, insiste Claire Thoury. Ce n’est pas leur mission. (…) C’est ce qu’on appelle un contre-pouvoir et c’est tout simplement le cours normal de la vie démocratique.(…) les aspérités, le débat, le conflit, c’est ce qui fait vivre la démocratie« , soulignant ainsi les défis persistants liés à la préservation des libertés associatives dans un contexte où les tensions entre le monde associatif et les autorités continuent de croître.

L’Extrême-droite, bien établie dans la rue et les instances de gouvernance

Défilé de l’extrême-droite dans les rues de Paris. Malgré une interdiction préfectorale, le tribunal administratif a autorisé le rassemblement annuel du mouvement néofasciste pour commémorer la mort de Sébastien Deyzieu. Chaque année, un défilé a lieu à Paris, organisé par le Comité du 9-Mai, pour commémorer la mort du jeune militant nationaliste en 1994. En réponse, des organisations de gauche ont organisé un contre-rassemblement. Le défilé de mai 2023 avait déjà suscité la polémique, impliquant d’anciens membres du microparti de Marine Le Pen. Frédéric Chatillon, ancien chef du Groupe union défense (GUD), maintient des liens étroits avec elle malgré sa tentative de s’en distancier publiquement. Le Comité du 9-Mai, cofondé par le GUD et le Front national, organise ces manifestations depuis 1994, faisant du 9 mai un événement annuel important pour les néofascistes. Bien que le Front national ait officiellement pris ses distances, des figures comme Chatillon et Loustau continuent de participer, perpétuant cette tradition à Paris.

Au Parlement européen, le RN mange dans la main des lobbies. Jordan Allouche, un contre-lobbyiste environnemental, critique le Rassemblement national (RN) pour soutenir systématiquement les intérêts des grandes entreprises. Il cite un exemple où McDonald’s a dépensé trois millions d’euros en lobbying pour contrer une mesure de réduction des emballages à usage unique, finalement rejetée avec les voix du RN. Allouche et ses collègues ont créé JeVoteLobby, un site dévoilant dix cas où le RN a soutenu les lobbies industriels au Parlement européen, révélant une stratégie alignée avec les intérêts économiques plutôt que les démunis. Allouche souligne que, malgré une faible activité législative au Parlement, le RN vote régulièrement en faveur des lobbies industriels, montrant une collusion d’intérêts. Le projet vise à rendre visible cette alliance et à démontrer que le RN, sous couvert de défendre les démunis, soutient en réalité une politique ultra-libérale et pro-corporations. Son collègue Matthieu Pajot ajoute que ce travail révèle l’influence réelle de l’Europe sur la vie quotidienne et démystifie le prétendu côté antisystème du RN. Allouche conclut que bien que le RN ait un impact limité en raison de sa taille, l’augmentation de la présence de l’extrême droite pourrait transformer le Parlement européen à l’avenir.

Christophe-Cecil Garnier, “À Bruxelles, le RN soutient les lobbies industriels”, Streetpress, 7 mai 2024

Candidat aux élections européennes, l’AFD reste sous surveillance. Le parti d’extrême droite allemand AfD reste sous surveillance du BFV, les services de renseignement allemands, après que le tribunal de Munster a rejeté sa demande de ne plus être classé comme « groupe suspect d’extrémisme de droite ». Ce statut, en place depuis 2021, permet une surveillance étroite du parti, allié du Rassemblement national au Parlement européen. La ministre allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser, a salué cette décision comme un signe de la capacité de la démocratie à se défendre. De plus, le parquet fédéral a annoncé en avril l’ouverture de deux enquêtes contre Maximilian Krah, tête de liste de l’AfD aux élections européennes, pour des soupçons de soutien financier illégal de donateurs chinois et russes.

Émilien Urbach, « En Allemagne, l’AfD subit un nouveau revers juridique », L’Humanité, 13 mai 2024

Des économies de bouts de chandelles sur le dos de l’État social

En France, les chômeurs ne sont pas mieux traités qu’ailleurs. L’idée que le système d’assurance-chômage en France serait très généreux est remise en question par une comparaison avec d’autres pays européens. En réalité, les indemnités versées en France ne sont pas si élevées : elles représentent en moyenne 52 % du salaire médian. Mais seuls 46 % des inscrits à France Travail reçoivent des indemnités. La situation varie selon les pays : le Danemark offre des prestations plus élevées, tandis que le Royaume-Uni a un système plus minimaliste. En France, le montant des indemnités est affecté par plusieurs facteurs, comme la nature assurantielle des régimes et la nature du chômage, qui touche souvent les personnes moins qualifiées et moins bien rémunérées. En outre, environ 50 % des chômeurs en France travaillent tout en recherchant un emploi, ce qui réduit leurs indemnités (788€ par mois en moyenne en 2022, un montant inférieur à celui des chômeurs sans activité). Le taux de pauvreté des chômeurs est cinq fois plus élevé que celui des salariés. Chaque pays a ses propres critères d’éligibilité, créant des exclusions différentes selon les contextes nationaux. En France, l’utilisation fréquente de contrats très courts complique le remplissage des conditions d’affiliation. En conclusion, les systèmes d’assurance-chômage en Europe, y compris en France, ne couvrent pas pleinement le risque de perte de revenu lié au chômage. La récurrence des réformes vise souvent des économies budgétaires plutôt qu’une réelle amélioration de la protection des chômeurs. L’équilibre entre efficacité économique et protection sociale devrait davantage intéresser les responsables politiques

Baptiste Françon et Jean-Marie Pillon, “Avec les chômeurs, la France n’est pas plus généreuse que ses voisins”, The Conversation, 14 mai 2024

Coup de canif au logement social. Alors que le gouvernement envisageait initialement de modifier la loi SRU pour intégrer des logements intermédiaires dans les quotas de logements sociaux des grandes villes, il veut à présent que les nouveaux logements construits incluent également des logements intermédiaires, retardant ainsi l’atteinte des objectifs en matière de logements sociaux. Cette décision accentuera le ralentissement de la construction de logements sociaux, alors que la demande reste forte en France, avec 2,6 millions de foyers en attente. La politique antérieure de réduction des moyens des bailleurs sociaux sous le gouvernement Macron a déjà contribué à cette baisse de construction. Malgré cela, le gouvernement justifie sa décision en évoquant les difficultés de logement de la classe moyenne, même si les critères de revenus pour les logements intermédiaires sont élevés, excluant ainsi de nombreux ménages de cette catégorie. Bien que certaines communes aient atteint leurs quotas de logements sociaux, beaucoup d’autres, souvent parmi les plus riches, restent en deçà de ces objectifs. Alors que la loi SRU a eu des impacts positifs, le gouvernement semble désormais privilégier la démagogie aux dépens des mal-logés et des classes moyennes.

Clément Viktorovitch, “Chronique : logement social : un détricotage ?”, France info, 12 mai 2024 

La préférence communale dans le logement social maintient la ségrégation sociospatiale. Des chercheurs en sciences sociales alertent sur les conséquences de la « préférence communale » pour les logements sociaux et de l’accent sur les logements intermédiaires, ignorant les évaluations des politiques publiques. La crise du logement en France, entravant l’accès des classes populaires et moyennes à des logements abordables près des emplois, a conduit à la loi SRU, imposant aux communes de plus de 3 500 habitants d’avoir au moins 20 % de logements sociaux. Cependant, malgré une construction accrue de logements sociaux dans certaines communes aisées, des recherches ont révélé une exclusion des classes populaires des communes voisines plus pauvres. Les politiques municipales, en instaurant une « préférence communale » et en sélectionnant les locataires en fonction de l’image sociale de la ville, ont maintenu la ségrégation sociospatiale en écartant les familles les plus précaires, notamment immigrées. Malgré ces preuves, la priorité politique semble être d’assouplir la loi SRU, risquant d’accentuer le clientélisme municipal et l’exclusion des classes populaires.

Logement social : Jordan Bardella veut la préférence nationale, une mesure inconstitutionnelle. Au micro de France inter le 7 mai 2024, Jordan Bardella, président du Rassemblement national, a proposé de réserver les logements sociaux aux Français, affirmant qu’il existerait une « préférence étrangère » à inverser pour instaurer une préférence nationale. Il s’appuyait pour cela sur un rapport trompeur de la Fondapol et de l’Observatoire de l’immigration. Cependant, cette proposition serait probablement jugée inconstitutionnelle car elle violerait le principe de solidarité nationale, inscrit dans la Constitution française. Le 11 avril 2024, le Conseil constitutionnel a déjà rejeté une proposition similaire visant à restreindre l’accès des logements sociaux aux étrangers résidant en France depuis moins de cinq ans, jugeant cela excessif par rapport aux droits à la protection sociale garantis par la Constitution. Le Préambule de la Constitution de 1946, ayant la même valeur que celle de 1958, stipule que « tout être humain » incapable de travailler a droit à des moyens convenables d’existence de la part de la collectivité, indépendamment de sa nationalité. Le Conseil constitutionnel admet des restrictions pour l’accès aux aides sociales, telles que la résidence ou le travail en France pour une certaine durée, mais toute suppression totale de l’accès aux logements sociaux pour les étrangers serait disproportionnée. Pour mettre en œuvre sa proposition, Bardella devrait donc modifier la Constitution pour limiter la solidarité aux seuls Français, une démarche incertaine, car d’autres principes comme le droit à la dignité humaine pourraient encore s’y opposer.

Pour qui marche la classe politique ?

« L’État ne doit plus être la vache à lait de certains profiteurs » (Éric Ciotti, 14 septembre 2022, X). Une enquête préliminaire a été ouverte à Nice contre le président des Républicains et ses collaborateurs pour des cumuls d’emplois non déclarés ou non autorisés entre Assemblée nationale et conseil départemental. Cette enquête fait suite à un rapport de la chambre régionale des comptes révélant des cumuls d’emplois non déclarés ou autorisés dans le cabinet du président du département. Ciotti, déjà mis en cause pour le cumul d’emplois de son ex-épouse, aurait mis en place un système pour garder le contrôle sur le conseil départemental des Alpes-Maritimes, malgré son départ de la présidence en raison de la loi sur le cumul des mandats en 2017. À cette fin, il s’est organisé pour occuper plusieurs postes stratégiques (présidence de la commission des finances, postes d’administrateur dans des organismes locaux). Il a aussi placé des fidèles collaborateurs, qui cumulent des rôles au sein du cabinet du département et en tant que collaborateurs parlementaires de Ciotti. Ce système lui permet de maintenir son emprise sur la politique locale tout en s’offrant “des moyens qu’aucun député lambda ne possède”, dénonce AC! !.

Une gestion “brouillonne”? L’ancien député Les Républicains Bernard Perrut a été condamné à un an de prison avec sursis et à une amende de 60 000 euros pour détournement de fonds publics. Il a utilisé environ 87 500 euros d’indemnités représentatives de frais de mandat à des fins personnelles. De plus, il a été reconnu coupable de manquements envers la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, concernant la déclaration de son patrimoine et de contrats d’assurance-vie. Bien qu’il ait évoqué une gestion « brouillonne », le tribunal a jugé ces manquements volontaires. Les faits se sont déroulés entre mars 2015 et juin 2017.

La probité, le meilleur allié pour éviter la chute. Hubert Falco, ancien maire de Toulon, a été condamné en appel à cinq ans d’inéligibilité pour des manquements à sa probité d’élu. La cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé la peine, malgré avoir réduit sa condamnation à 18 mois de prison avec sursis. Cette décision, qui intervient après des accusations de détournement de fonds publics liées à des repas et frais de pressing payés par une collectivité, met fin à sa carrière politique. Bien que son avocat ait annoncé un pourvoi en cassation, cette condamnation compromet ses chances de participer aux municipales de 2026. L’affaire, baptisée du « frigo de Falco », a marqué la fin d’une ère pour celui qui régnait sur Toulon depuis 2001.

« L’équipe de Gabriel Attal n’a pas le sens de l’État et ne travaille que pour sa personne, pas pour un collectif », selon un conseiller de Matignon. Le malaise règne au sommet de l’État après la révélation dans la presse des méthodes de management jugées toxiques de la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot. Des démissions en cascade de ses collaborateurs ont été observées, attribuées à un environnement de travail intenable. Les témoignages décrivent un climat de manipulation et de chantage affectif de la part de la ministre, illustrant un problème plus large de management toxique au sein du gouvernement. En effet, d’autres cabinets sont secoués par une vague de départs liés à la maltraitance des équipes. Le rôle de Matignon est de veiller à la gestion des ressources humaines dans les cabinets ministériels, mais Gabriel Attal, qui a pourtant multiplié les prises de parole sur le harcèlement, n’a cure de cette atmosphère délétère, au point que l’Élysée semble avoir pris la question en mains.