L’“universalisme” a-t-il piégé la démocratie ? — Entretien avec Jan Willem Duyvendak, sociologue

Depuis les années 1980, les débats sur les immigrés et leurs enfants se sont focalisés sur une tension supposée entre, d’une part, la culture d’origine de ces personnes et, d’autre part, la culture démocratique française. D’où, par exemple, les interrogations répétées quant à la « compatibilité de l’islam avec la République ». Bref, d’une part, ce qui a été décrié comme du « communautarisme » (et plus récemment comme du « séparatisme ») ; d’autre part, l’universalisme attaché par définition à la vie démocratique, la leçon des Lumières. Pourtant au fil des ans, ces débats ont débouché sur une contradiction : au motif que les « origines » non-européennes de certains Français constitueraient une barrière pour qu’ils soient reconnus comme des citoyens à part entière, on a fait d’eux des étrangers dans leur propre pays, au nom d’un « universalisme » toujours plus exclusif. Les principes de la citoyenneté ont été transformés en éléments d’une identité nationale de plus en plus fermée. Ces discours d’exclusion ont fini par établir une hiérarchie entre les « natifs » (ou « Français de souche ») et les autres citoyens, particulièrement à l’endroit des musulmans. Cela contredit la définition même de l’égalité entre citoyens — une condition indispensable à la démocratie. Surtout, un universel qui ne s’applique pas à tout le monde n’étant pas très universel, que reste-t-il de la démocratie dans cette évolution du débat sur l’immigration et le pluralisme ?

Pour répondre à ces questions, nous discuterons avec Jan Willem Duyvendak, sociologue et professeur à l’Université d’Amsterdam, directeur du NIAS (l’Institut d’étude avancée des Pays-Bas). Il est notamment l’auteur de The Return of the Native : Can Liberalism Safeguard Us Against Nativism ? (Oxford University Press, 2022) avec Josip Kesic et la participation de Timothy Stacey) et Nativisme : ceux qui sont nés quelque part et qui veulent en exclure les autres… (Les Petits Matins, 2021) avec Christophe Bertossi et Aurélien Taché.