Interdire certains métiers aux binationaux ? Point presse de Désinfox-Migrations

Lundi 24 juin, Jordan Bardella a tenu une conférence de presse pour présenter son programme de cohabitation. Interrogé sur une mesure visant à « empêcher » des Français ayant une autre nationalité d’occuper « des emplois extrêmement sensibles », il a confirmé que « les postes les plus stratégiques de l’État seront réservés aux citoyens français et aux nationaux français ». Une mesure discutable et dangereuse. Qu’en dit le droit? Quel arrière-plan idéologique?
Désinfox-Migrations a organisé un point presse pour interroger le juriste Serge Slama et le sociologue et politiste Christophe Bertossi.

Une mesure inutile et inconstitutionnelle

Dans son intervention, Serge Slama a abordé le contexte juridique et constitutionnel de cette proposition. « Cette proposition, bien qu’elle soit présentée comme nouvelle, n’est qu’une réminiscence des mesures xénophobes du passé, en totale contradiction avec les principes constitutionnels et républicains de la France », souligne-t-il. Le Front national, dirigé par Jean-Marie Le Pen, a, en effet, toujours soutenu la réduction des droits des binationaux et la suppression du droit du sol, favorisant une vision héréditaire de la citoyenneté. Pas plus tard qu’en janvier 2024, les députés du RN ont signé une proposition de loi constitutionnelle pour modifier la Constitution afin d’exclure les binationaux de certains emplois. Bien que cette proposition ait été critiquée, elle demeure dans le programme du RN, même si Jordan Bardella a rétropédalé, arguant vouloir limiter cette exclusion aux emplois sensibles. Serge Slama a souligné que des procédures de vérification existent déjà pour les emplois sensibles, et que toute mesure d’exclusion basée sur la binationalité serait contraire à la Constitution, qui garantit l’accès des citoyens français aux emplois publics.

Un argument rhétorique au profit du récit d’une France divisée

Christophe Bertossi a ensuite apporté une analyse sociologique et idéologique. Il a expliqué que le RN perpétue une vision duale des Français, distinguant les « vrais Français » des « Français de papier », une vision qui remonte aux années 80 avec Jean-Marie Le Pen. Pour lui, « Le Rassemblement national n’est plus simplement un parti tribunitien ; il aspire désormais au pouvoir, transformant ses revendications antirépublicaines en un programme gouvernemental potentiel. » Christophe Bertossi souligne que cette évolution s’inscrit dans un contexte où le débat sur la citoyenneté a basculé vers des questions identitaires et culturelles, soutenues même par des acteurs politiques de gauche, comme le rappelle la déchéance de nationalité proposée par Manuel Valls. Cette transformation rend audibles des propositions telles que celle sur les binationaux, reflétant une idéologie nativiste qui stigmatise non seulement les minorités mais aussi leurs défenseurs (les prétendus « islamo-gauchistes » et autres « wokistes »), dans un climat de suspicion et de division au sein de la société française.

En conclusion, les deux intervenants s’accordent sur la continuité idéologique du RN et la nature discriminatoire de ses propositions. Ils ont souligné que ces propositions rappellent des périodes sombres de l’histoire française, comme l’affaire Dreyfus, et sont contraires aux principes républicains de la nation française. Même avec une majorité parlementaire, de nombreuses propositions du RN seraient difficilement applicables en raison de leur inconstitutionnalité. Ce point presse a mis en lumière les enjeux juridiques, idéologiques et sociétaux de la proposition du RN concernant les binationaux, soulignant ses implications et sa cohérence avec l’historique du parti.

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