(Ir)responsabilité au sommet, un levier pour l’extrême-droite – Revue du 25 mai 2024

Lio Ando-Bourguet et Perin Emel Yavuz

40 minutes

Alors que les voyants sont au rouge face à la montée en puissance du RN jusque dans les sphères du pouvoir, le journalisme de l’audiovisuel dit adopter une posture de neutralité et d’exigence. Cependant, son appréhension du RN révèle une analyse peu critique et dépolitisée du pouvoir acquis par le parti en dépit de son fondement xénophobe. Ainsi argue-t-on ses propositions souvent floues, son absence de bilan politique et sa faiblesse sur les questions économiques pour éviter d’aborder le fond. Un renoncement qui participe de sa normalisation. 

Pourtant, le diagnostic de plusieurs figures syndicales et politiques de gauche est clair : le RN flirte avec le patronat pour qui l’extrême-droite au pouvoir est clairement bénéfique ; son programme économique est celui d’un capitalisme autoritaire. Le bilan politique de l’extrême-droite en Europe l’atteste : son action porte atteinte à la démocratie, aux droits humains, à la justice sociale et à l’environnement. Alors que la violence d’extrême-droite est de plus en plus visible dans l’espace public, l’orchestration du débat télévisé entre Jordan Bardella et Gabriel Attal par Emmanuel Macron banalise la violence du projet politique du RN. La stratégie du chef de l’État de faire du RN la principale opposition et de donner l’illusion d’une alternative entre « populistes » et « progressistes » témoigne d’un cynisme et d’un mépris pour la démocratie. 

En Kanaky/Nouvelle-Calédonie, l’action de l’État reste policière, tandis que son discours sécuritaire dépolitise le contexte colonial (un terme qui n’est jamais prononcé, une histoire jamais reconnue) de ce territoire : partialité claire pour les loyalistes pourtant organisés en milices armées qui ont déjà tué au moins 4 personnes, criminalisation du mouvement social porté par les jeunes kanaks des quartiers populaires, mépris pour les leaders indépendantistes tenus pour responsables de la situation. Aucune parole d’apaisement ne sera prononcée si ce n’est une garantie floue et conditionnée de dialogue… Un cheveu sépare ce traitement autoritaire d’un comportement d’extrême-droite. 

Enfin, la cinquième réforme de l’assurance-chômage en six ans actuellement menée par le gouvernement poursuit en force le détricotage du rôle de l’État. Alors que la moitié des personnes sans emploi ne bénéficient pas de l’assurance-chômage, le gouvernement entend faire plus de 10 milliards d’euros d’économies en précarisant la situation d’un tiers des allocataires actuels. Cette politique, fondée sur des préjugés envers les personnes au chômage plus que sur la réalité de leur vécu, aura des conséquences catastrophiques alertent les syndicats et les associations.

Alors que l’échéance des élections européennes arrive le 9 juin, il y a une urgence démocratique à freiner la course vers l’abîme dans laquelle nous précipite un chef de l’État sans égard pour la société française, que ce soit en Kanaky ou en métropole.

Extrême-droite : “Il est minuit moins le quart”

Sophie Binet in extenso. « L’extrême droite, le fascisme, n’est jamais arrivé au pouvoir par hasard et tout seul. Contrairement à ce qu’on raconte, ce ne sont pas les ouvriers qui amènent au pouvoir l’extrême droite, c’est le capital et le patronat. Dans les années 1930, le patronat a pour slogan “plutôt Hitler que le Front populaire” parce qu’ils étaient en difficulté après la crise de 1929 et ils voulaient empêcher des révolutions d’advenir. Aujourd’hui, la stratégie d’Elon Musk ou de Vincent Bolloré en France est exactement la même. Le capital mène une bataille culturelle pour mettre en place cette alliance entre la droite et l’extrême droite et pour permettre à l’extrême droite d’arriver au pouvoir. Puisque les impasses du capitalisme sont de plus en plus visibles et flagrantes, il y a une lucidité très importante. C’est un point d’appui pour nous. Donc, on assiste à un basculement du capitalisme qui devient un capitalisme franchement autoritaire, pour qui la démocratie est un problème. Faire alliance avec l’extrême droite est une nécessité pour pouvoir continuer à s’accaparer nos richesses. Alors là, on a un problème au niveau du rapport de force, parce qu’ils ne céderont pas si facilement, d’autant plus qu’ils ont gagné des batailles importantes dans la préservation de leurs intérêts. » Un entretien à écouter en intégralité.

Sophie Binet : « Face à l’extrême droite, il est minuit moins le quart », À l’air libre [Youtube], Médiapart, 17 mai 2024.

« Est-ce que nous prenons assez au sérieux la menace de l’extrême droite ? » Les voix de gauche se multiplient et s’élèvent pour alerter contre le RN. La montée de l’extrême-droite en Europe, en coalition avec la droite, c’est notamment la mise sur les routes de mégacamions, le détricotage du Pacte vert dont plus récemment la loi sur la restauration de la nature, et plus largement des atteintes à la démocratie environnementale, selon Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes aux élections européennes. « Lorsqu’elle arrive au pouvoir, l’extrême droite agit en permanence pour les intérêts des lobbys et contre ceux de la nature« , estime-t-elle. Et cette arrivée au pouvoir est largement due à un vote de protestation contre un gouvernement qui « n’a eu de cesse de construire une défiance des citoyens envers les responsables politiques. » « Si la coalition des droites l’emportait, cela pourrait entraîner le recul des droits humains, la régression sociale, démocratique et environnementale, la plongée vers le chaos. » Patrice Bessac, maire communiste de Montreuil en Seine-Saint-Denis, estime également que « le RN s’est banalisé partout. » Inquiet de la réelle possibilité que le RN arrive au pouvoir en 2027, il rappelle que ce seront les maires qui seront les « premiers confrontés à ce nouveau système politique« , étant l’intermédiaire entre les citoyen·nes, les forces de l’ordre et les préfets, nommé·es par le Premier ministre (ie. Jordan Bardella). Il annonce vouloir constituer un groupe d’élu·es locaux « pour analyser les conséquences possibles d’une victoire de l’extrême droite sur les politiques locales« . 

Coppola au crépuscule de sa vie face au monde. Lors de la conférence de presse à Cannes le 17 mai, Francis Ford Coppola, venu présenter son dernier film Megalopolis, a abordé sa vision pessimiste de l’Amérique qu’il compare à la chute de la République romaine. « À la façon dont les Romains ont perdu leur République, nous sommes arrivés, aux États-Unis, à un point où nous pourrions perdre la nôtre », a-t-il estimé. Soulignant le rôle des artistes de montrer les travers et périls des sociétés, il constate : « Il y a une tendance aujourd’hui dans le monde qui pousse vers l’extrême droite et même le fascisme. Ceux qui ont connu la seconde guerre mondiale connaissent les horreurs de l’époque, et on ne veut pas que tout cela se reproduise. »

Face au RN, les médias audiovisuels entre renoncement et justifications. Alors que le Rassemblement national est omniprésent sur les plateaux radio et TV et que le rôle des journalistes est fortement questionné, Télérama est allé interroger certains d’entre eux sur la manière dont ils appréhendent les interviews des membres du parti. Pour Alain Duhamel (BFMTV), le RN reste un parti d’extrême droite, nécessitant une préparation minutieuse avant toute interview. Carine Bécard (France inter) souligne que les représentants du RN tiennent souvent des propos peu précis, ce qui demande plus d’efforts pour les interviewer efficacement. La difficulté réside également dans le fait que le RN n’a jamais exercé le pouvoir et n’a donc aucun bilan politique auquel le confronter. Sonia Mabrouk pointe la vulnérabilité du RN sur les questions économiques sur lesquelles ils évitent de prendre position. Selon elle, le RN promet beaucoup, mais l’exercice du pouvoir pourrait révéler des lacunes dans leurs propositions. Les journalistes s’accordent sur l’importance de maintenir une rigueur journalistique inattaquable. Certains journalistes ont adopté une posture de neutralité et d’exigence similaire à celle adoptée avec d’autres leaders politiques, ce que défend Nicolas Demorand (France inter), le risque étant que les membres du RN soient moins confrontés qu’auparavant. Patrick Cohen (France 5) met en garde contre la tentation d’oublier la dimension xénophobe du programme du RN, même sous son nouveau nom, qui a évidemment fait partie intégrante du processus de dédiabolisation. La sémiologue Mariette Darrigrand estime que les journalistes n’auraient pas dû se laisser imposer cette euphémisation et continuer à dire « FN ». Si ces journalistes mettent en avant l’exigence de rigueur et d’objectivité, ils semblent avoir moins réussi à éviter la normalisation de ce parti qui porte des idéologies dangereuses. 

François Rousseaux et Richard Sénéjoux, Interroger l’extrême droite, un vrai casse-tête pour les médias, Télérama, 21 mai 2024

N’y a-t-il que deux partis politiques en France ? L’exemple du débat entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, jeudi 23 mai, est un exemple. Ainsi peut-on lire dans Pure Médias comment France Télévision s’est battu pour en obtenir l’organisation. L’argument évoqué ? L’engagement de la chaîne « pour intéresser les Français » aux élections européennes. Pour autant, la question du temps de parole des partis, pertinente dans le cadre d’une campagne électorale démocratique, comme celle de la réduction du débat à « deux visions de l’Europe », semble échapper à la réflexion de l’audiovisuel public de moins en moins indépendant. Or, critique Olivier Faure, il s’agit d’ « un problème démocratique fondamental » dont l’Arcom s’est d’ailleurs saisi, demandant à Delphine Ernotte d’équilibrer cette situation. Le débat orchestré par Emmanuel Macron, rappelle Le Monde, vise à mobiliser les électeurs et polariser entre « populistes » et « progressistes ». Bardella, malgré les risques, en sortira renforcé. Ce duel reflète la stratégie de Macron de marginaliser les partis traditionnels et de faire du RN la principale opposition et offre d’alternance, avec des conséquences potentielles pour la politique française. Et face à cette situation, les journalistes de l’audiovisuel ne semblent pas avoir le recul nécessaire pour mettre en évidence le danger de l’extrême-droite. Ainsi, ce fil du chef de l’émission Le Vrai du faux de France Info, Julien Pain, qui, malgré son expérience et son engagement, valide le discours de Jordan Bardella dans une opération de fact-checking sur son compte X. La rigueur et la neutralité se révèlent là contreproductives.

Le patronat tenté par le RN. Le 21 novembre 2023, Marine Le Pen a déjeuné avec Henri Proglio, ancien patron de Veolia et d’EDF, au restaurant Laurent à Paris, testant ainsi la réaction des élites économiques françaises. Cette rencontre, rapidement ébruitée, n’a pas suscité de réaction négative de la part des héritiers de Marcel Dassault, juif déporté à Buchenwald, indiquant une acceptation croissante de Le Pen parmi les milieux d’affaires. Certains grands patrons, comme Éric Trappier de Dassault Aviation et Olivier Andriès, numéro deux de Safran, ont aussi rencontré Le Pen, malgré les réticences quant à son programme économique jugé peu sérieux. François Pinault, en revanche, a refusé de la rencontrer. La campagne des élections européennes voit de nombreux dirigeants affluer pour dialoguer avec le RN, anticipant son accession au pouvoir en 2027 et craignant de répéter l’erreur des Américains face à Trump. Jordan Bardella, président du RN, est particulièrement actif dans ces démarches, s’efforçant de donner une image de sérieux économique. Des figures influentes comme François Durvye et des députés RN jouent un rôle clé dans cette offensive de charme. Le RN cultive des contacts secrets avec des élites économiques, cherchant à rassurer sur son programme. Sa stratégie vise à projeter une image modérée et à obtenir un soutien plus large pour les élections de 2027. Les cercles économiques cherchent ainsi à s’adapter, bien que la moitié des Français voient toujours le RN comme une menace pour la démocratie. 

Lucas Burel, Camille Vigogne Le Coat et Caroline Michel-Aguirre, Extrême droite : l’inquiétante tentation des patrons, Le Nouvel Obs, 16 mai 2024

L’extrême-droite en Bretagne sur le banc des accusés. Dans le contexte d’une montée de l’extrême droite violente en Bretagne, trois suprémacistes ont attaqué, le 17 novembre 2023 à Saint-Brieuc, le local de l’association La Serre, convaincus d’y trouver des antifas. Ils terrifieront les bénévoles et blesseront une personne. Six mois plus tard, Noël, Jérémy M., tous deux membres du Parti national breton et en lien avec des groupuscules d’extrême droite, ainsi que Lucas B. sont jugés pour violences aggravées. Les auditions ont donné à entendre un condensé des thèses suprémacistes qu’ils ne renient pas. « Nous défendons le droit des blancs de vivre », affirmera l’un. « La démocratie est un régime mortifère dans ce pays », dira l’autre. Tous trois ont été condamnés à des peines de prison avec sursis et interdits de port d’armes et d’approcher La Serre. Un procès similaire est prévu dans le même tribunal en septembre : six hommes seront jugés pour l’attaque survenue lors du festival Bretagne solidaire.

Une alerte de la plateforme Pharos aurait potentiellement empêché une tuerie de masse à Bordeaux, planifiée par un incel (involuntary celibate, ou célibataire involontaire), idéologie masculiniste associée à l’extrême-droite. Au cours de sa garde à vue après l’ouverture d’une enquête pour apologie d’un crime, un homme de 26 ans admet avoir envisagé un passage à l’acte planifié le 23 mai 2024, date des 10 ans d’une tuerie en masse commise par un autre incel, Elliot Rodger, aux Etats-Unis. L’idéologie incel est profondément misogyne, estimant que les femmes sont la cause du manque de relation sexuelle des incels, qui s’estiment y avoir droit. C’est une idéologie associée au suprémacisme blanc puisque le « multiculturalisme » de la société est théorisé comme en partie responsable d’un rejet des hommes blancs par les femmes (blanches). 

L’Observatoire des multinationales publie un rapport sur le réseau Atlas, un influent groupe de think tanks libertariens. Basé en Virginie et fondé en 1981, ce réseau cherche à propager ses idées comme la dérégulation et des positions ultraconservatrices. Dans son rapport annuel 2023, Atlas revendique ainsi 589 partenaires dans 103 pays et un budget de 28 millions de dollars. Soutenu par des milliardaires et des entreprises, ce réseau utilise des stratégies d’influence sophistiquées pour paraître indépendant et représenter les citoyen·nes, alors qu’il sert des intérêts particuliers. Il a ainsi soutenu des mouvements et des campagnes politiques majeures, comme le Tea Party, le Brexit, ou les élections de Donald Trump et de Javier Milei. En France, malgré sa relative discrétion, Atlas a des partenaires actifs depuis les années 2010, comme l’Ifrap, l’Institut de recherches économiques et fiscales dirigé par la très médiatique Agnès Verdier-Molinié, l’Institut Molinari et Contribuables associés. Ces organisations, souvent liées à l’extrême-droite, bénéficient de formations et de soutiens financiers du réseau Atlas. L’Institut de formation politique (IFP), modèle français du Leadership Institute américain, forme des jeunes conservateur·ices, certain·es devenus influent·es, comme Charlotte d’Ornellas et Samuel Lafont. Atlas utilise des méthodes de « chambre d’écho » pour amplifier ses idées, même si elles restent minoritaires dans l’opinion publique. La montée en puissance de ce réseau en France, avec des méthodes éprouvées aux États-Unis et ailleurs, pourrait avoir un impact significatif sur le paysage politique et idéologique français. Exposer ces liens et méthodes est crucial pour comprendre et contrer leur influence croissante.

Nouvelle Calédonie/Kanaky :
laboratoire de l’autoritarisme

L’association milice-police est mortelle pour les jeunes kanaks de Nouméa. Un civil s’est rendu au commissariat après le meurtre de Jybril Salo, 19 ans, mais l’enquête est encore en cours pour déterminer qui a été à l’origine du tir qui l’a touché dans le dos. Un fonctionnaire de police pourrait également être responsable, puisqu’il a aussi tiré au moment du meurtre. Les premières images et les témoignages révèlent que Jybril ne représentait aucun danger lorsqu’on lui a tiré dessus. 

Bérénice Gabriel, Zeina Kovacs et Pascale Pascariello, Les circonstances de la mort de Jybril, tué par un civil à Nouméa, Médiapart, 19 mai 2024

« Il y a des jeunes qui ont été tués, mais nous, nous n’avons pas d’armes. C’est un barrage pacifique. » Un groupe de jeunes mobilisés contre le dégel du corps électoral tiennent un barrage filtrant les arrivées vers Nouville, où se trouvent deux hôpitaux et l’université, tentant d’empêcher l’entrée des forces de l’ordre, qu’ils suspectent venir en renfort des milices. « Une demi-heure avant votre arrivée sur le barrage, on a été la cible d’individus armés dont on ne connaît pas l’identité. […] Elle semble travailler en parallèle avec la police. On ne sait pas s’ils sont avec elle ou pas mais, à chaque fois, ils se suivent » raconte Phil. Au moins trois jeunes kanaks ont déjà été tués par des civils armés, alors que d’autres sont portés disparu·es — des violences qui s’inscrivent dans une longue lignée d’assassinats de leaders indépendantistes que les jeunes du barrage ont bien en mémoire. Ils prônent la légitimité de leur résistance pour un idéal de citoyenneté calédonienne : « On demande à tout le monde d’avoir un œil bienveillant pour le combat des enfants de Kanaky, le nom de ce pays. Kanaky ne veut pas dire qu’on va exterminer tout le monde et qu’il y aura une seule race. Non ! On demande la nationalité kanak ou la nationalité calédonienne, mais il ne faut pas faire passer le dégel avant la nationalité. Kanaky vaincra ! »

Johanna Tein, “Ils sont venus nous flinguer comme des chiens”, L’Humanité, 22 mai 2024

En Nouvelle-Calédonie, les groupes armés de colons sont appuyés par l’Etat. L’organisation de ces groupes, dont certains s’identifient comme des « voisins vigilants » tandis que d’autres assument un caractère plus militaire de milice, diffère selon les quartiers. C’est plutôt dans le sud, historiquement les beaux quartiers où les colons au vote loyaliste sont majoritaires, que les milices sont les plus armées : ateliers de fabrication de cocktails Molotov auxquels certains se sentent contraints de participer par pression sociale, et propriétaires de fusils à lunette, positionnés sur les toits en guise de snipers. Parmi la plupart des personnes armées, aucune expérience militaire mais une volonté de dissuader en attendant l’arrivée des troupes de la gendarmerie nationale : « Faut qu’ils tirent dans le tas. S’il faut des morts pour calmer leurs conneries, eh ben, il faudra des morts. » Pourtant cette semaine, pas un drapeau indépendantiste n’a été aperçu dans ses quartiers, ni d’incendie ; l’espace public est rempli d’enfants jouant, de joggeurs, de personnes profitant des bars et des restaurants, ouverts. Ceux qui revendiquent n’être que des « voisins vigilants » estiment s’organiser pour empêcher les non-résidents du quartier de circuler, car « ils n’ont rien à y faire ». Sur les barrages, les personnes sont armées de battes de baseball, de bâtons, de crosses ; les armes sont sur les toits. Qu’il s’agisse de milices ou de « voisins vigilants », un clair antagonisme envers les kanaks indépendantistes desquels il s’agit de se défendre. Et surtout, ces groupes armés font le travail de l’État, qui ne s’en démens pas. Louis Le Franc, haut-commissaire de la République, approuve leur existence : « Que ces voisins vigilants restent là où ils sont. Je sais que c’est un réflexe de protection qui correspond aux attentes de la population des différentes communes de l’agglomération. Au fur et à mesure que les renforts arrivent, ces relèves viendront prendre la place de ces voisins vigilants. » 

« Il faut rétablir les conditions du dialogue. Mais comment faire avec un gouvernement qui est sourd ? » Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne et membre du bureau politique du FLNKS et de la CCAT, se désole des risques de violence meurtrière qu’encourt ses proches en Kanaky. Une délégation de kanaks indépendantistes s’étaient rendus à Paris afin de tenter de dissuader les député·es macronistes de voter pour la loi constitutionnelle, et s’y retrouve désormais bloquée faute d’avions ; elle a tenu un meeting le 15 mai, qui fut l’occasion pour les participant·es de se recueillir mais également de faire part de leur analyse de la situation. Depuis le début des mobilisations, l’Etat rejette la faute des violences et criminalise la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain), désignée de « groupe mafieux qui veut manifestement instaurer la violence » par Gérald Darmanin et d’ »organisation de voyous qui se livre à des actes de violences caractérisées avec la volonté de tuer des policiers, des gendarmes, des forces de l’ordre » par Louis Le Franc. Or, la CCAT a été créée il y a six mois après un congrès de l’Union calédonienne qui regroupe tous les courants indépendantistes, afin d’organiser la mobilisation qui ferait entendre à l’Etat l’opposition à la loi proposée. Elle a organisé plusieurs grandes marches pacifiques : « On espérait qu’avec cette méthode le ministre entende, mais il n’a rien entendu. Nous l’avions pourtant prévenu que le pays était une poudrière », se désole Romuald Pidjot, secrétaire adjoint de l’Union calédonienne. Dans son communiqué du 15 mai, la CCAT appelle à l’apaisement et au pacifisme. Mais elle n’a désormais plus le contrôle sur la mobilisation. Romuald Pidjot explique la colère des jeunes des quartiers populaires de Nouméa au cœur des insurrections par leur sentiment d’injustice face aux inégalités et par le profond mal que procure le déni du fait colonial. La délégation se retrouve dans une situation impossible : essayer d’appeler au calme loin de leurs proches et de la situation sur place, avec la lourde conscience de la partialité de l’Etat, loin d’être dans une position de dialogue. 

La paix « a toujours été fragile en Nouvelle-Calédonie ». Dominique Fochi (secrétaire général de l’Union calédonienne) rappelle que les quatre grandes révoltes de l’histoire de Kanaky depuis sa colonisation par la France en 1853 a toujours porté sur la question du peuplement et de l’accaparement des terres des autochtones. C’est le boom du nickel dans les années 1970 qui a provoqué l’arrivée massive de populations européennes, à l’origine de la minorisation des Kanaks et de leurs oppositions au corps électoral ouvert notamment sur des questions politiques qui concernent leur autodétermination. L’histoire ne fait que se répéter, avec au cœur les méthodes explosives du gouvernement. L’Accord de Nouméa marquait pourtant un tournant, que le gouvernement Macron ne fait que bafouer depuis 2021 en imposant entre autres un référendum dans des conditions décriées. « En Nouvelle-Calédonie, la méthode du passage en force, comme en France avec des 49.3 et autres, ne fonctionne pas. Ils ne sont pas face à des syndicats et des mouvements sociaux, mais face à un peuple qui a été colonisé, qui revendique sa dignité, son droit à l’autodétermination et à l’indépendance. »

En Kanaky, Macron, à l’image de lui-même : un discours avant tout sécuritaire et paternaliste, qui criminalise le mouvement d’insurrection et ne reconnaît ni sa propre responsabilité dans la crise actuelle, ni la racine coloniale de la situation. Lors de sa présence d’une durée de 18h sur l’archipel, sa priorité, a-t-il déclaré, est que la République reprenne l’autorité. Par « République » il entend les 3 000 forces de sécurité intérieure et les 130 membres du GIGN et du Raid déployés depuis la métropole. La « reprise » de « chaque quartier, chaque rond-point, chaque barrage » auprès « des émeutiers [aux] techniques quasi insurrectionnelles » met en scène une lutte territoriale à l’opposition claire entre les colons d’un côté, aux côtés desquels se positionne l’État, et les indépendantistes de l’autre. « C’est pas le Far West », déclare-t-il en parlant des militant·es kanaks des quartiers populaires, un choix d’image cynique étant donné la lutte continuelle que mène les nations amérindiennes par les canaux du droit, de la justice, de la participation politique ou de la gouvernance tribale pour exercer leur souveraineté sur un territoire toujours contesté, dont l’histoire et le présent restent structurés par la violence coloniale des États-Unis. Le chef de l’État ne fait d’ailleurs aucune allusion directe aux milices loyalistes, pourtant soutenues par l’État, et n’emploie pas le terme de colonisation. Il est à la fois ferme sur certaines choses (refus de revenir sur le troisième référendum très contesté) et évasif sur d’autres : un engagement à ce que le dégel du corps électoral en Kanaky « ne passe pas en force dans le contexte actuel », engagement (qui n’est pas promesse de revenir sur le dégel), donc, qu’il semble conditionner au comportement lors des semaines à venir des indépendantistes, sur lesquels il fait reposer toute responsabilité de retour au calme dans le but d’une « reprise du dialogue en vue d’un accord global ». Même si l’intervention du Président laisse planer le flou quant aux actions concrètes de l’Etat à venir, sa partialité claire en faveur des loyalistes laisse supposer que ce flou servira à l’avantage de ces derniers. 

« L’état des considérations de nos institutions pour les libertés fondamentales est terrifiant » estime La Quadrature du Net après la décision du Conseil d’État de maintenir l’interdiction de Tik Tok en Nouvelle-Calédonie. Elle faisait partie des requérant·es devant le Conseil d’État, avec La Ligue des droits de l’homme et trois néo-calédoniens, qui estimaient que l’interdiction constituait une atteinte grave aux libertés de communication et d’information. Le Conseil d’État a tranché le 23 mai : les requérant·es n’auraient pas suffisamment démontré que l’interdiction portait atteinte aux libertés et donc l’urgence de suspendre l’interdiction, qui n’est que temporaire dans le but de rétablir la sécurité publique. Selon la Quadrature du Net, le Conseil d’État valide en creux « le réflexe autoritaire de Macron et Attal de s’en prendre aux moyens de communication lors de moments de crise. »

Klara Durand et AFP agence, Nouvelle-Calédonie : le Conseil d’État ne suspend pas le blocage de TikTok, Le Figaro, 23 mai 2024

L’interdiction du réseau social Tik Tok est une situation inédite de plusieurs manières — mais surtout, elle s’inscrit dans la politique contre les jeunes du gouvernement. C’est d’abord la première fois qu’un réseau social est interdit dans un pays « occidental », s’ajoutant à une liste de pays comprenant l’Afghanistan, la Somalie et l’Inde. Ensuite, la décision d’interdiction a été prise de façon informelle, sans passer par un acte mais plutôt par une annonce de Gabriel Attal, sur fondement d’état d’urgence. Le juriste Nicolas Hervieu explique que l’état d’urgence permet bien de suspendre un service de communication en ligne, mais uniquement en cas de provocation « à la commission d’actes de terrorisme » ou d’ »apologie du terrorisme », ce qui n’est pas le cas en Nouvelle-Calédonie. Le gouvernement appuie maintenant sa décision sur la base de la « théorie des circonstances exceptionnelles » créée par une jurisprudence du Conseil d’État en 1918, qui permet à l’Etat de prendre des mesures normalement illégales en période de crise. C’est la même théorie qui a été invoquée en mars 2020 pour décréter le premier confinement. Me Vincent Brengarth, avocat de requérants néo-calédoniens, dit avoir « le sentiment que le gouvernement tente de justifier a posteriori sa décision ». La représentante du gouvernement estime qu’il n’y a pas d’atteinte au droit à l’information car tous les autres moyens de communication restent disponibles et qu’un contournement est possible par l’utilisation d’un VPN, toujours autorisé. Le gouvernement dit avoir ciblé Tik Tok car le réseau concentrerait un grand nombre de vidéos violentes et serait particulièrement investi par les émeutier·es — mais sans fournir de preuves. « Ce blocage ne vise pas à prévenir des troubles à l’ordre public mais à empêcher les jeunes de s’organiser et de s’exprimer », estime Me Marion Ogier, avocate de la Ligue des droits de l’homme. 

Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits, se dit « très choqué » de l’interdiction du réseau social par le gouvernement. « C’est exactement comme quand au début du XXe siècle vous empêchiez les journaux de paraître. […] Je crois qu’il faut faire très attention à cet équilibre, à cette dialectique entre liberté et sécurité, et je pense qu’aujourd’hui la voie de la solution c’est la négociation et la médiation. » 

Statut de @v_brengarth sur X, 20 mai 2024

Une décision absurde qui esquive tout débat sur la légalité de la mesure, pourtant sans précédent. Le Conseil d’Etat ne s’est effectivement pas prononcé sur la légalité de l’interdiction de Tik Tok en Nouvelle-Calédonie, qui est pourtant très douteuse selon le juriste Nicolas Hervieu. Le Conseil a rejeté les requêtes sur le motif que le blocage du réseau n’aurait qu’une conséquence limitée, ce qui vient directement contredire la justification gouvernementale de l’interdiction, fait remarquer le juriste.

Statut de @N_Hervieu sur X, 23 mai 2024

Selon des constitutionnalistes, la déclaration de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie témoigne du mode opératoire d’un gouvernement dans un régime juridique d’exception désormais normalisé. Olivier Beaud, Samy Benzina et Cécile Guérin-Bargues remarquent que la décision de déclarer l’état d’urgence a été prise de façon unilatérale par Emmanuel Macron, qui a publiquement fait part de sa décision avant même que le conseil des ministres ait lieu. L’état d’urgence permet au ministre de l’intérieur et au haut-commissaire, pendant 12 jours, de procéder entre autres à des perquisitions administratives nocturnes, de faire des placements sous assignation à résidence, et de suspendre bien d’autres droits et libertés. Le Parlement doit être saisi pour prolonger ce régime d’exception, mais les constitutionnalistes estiment que cela ne s’agira que d’une formalité. L’interruption de Tik Tok illustre notamment « les risques d’abus d’un régime juridique dont l’objet est de faire prévaloir l’ordre public sur les libertés. »

Une cinquantaine d’universitaires, d’artistes et de citoyen·es de Kanaky/Nouvelle-Calédonie et de France appellent à une couverture médiatique “plus globale et plus juste” des événements actuels. Cela impliquerait de “faire remonter d’égale manière les violences envers le peuple autochtone kanak et/ou militant·es indépendantistes plus largement qui sont initiées et perpétrées par des milices européennes armées et par les forces de l’ordre, dans un contexte où la population kanak semble être perçue comme « ennemi intérieur ». La tribune alerte contre la désinformation et les propos biaisés qui circulent et qui informent les débats en cours. 

Quand allons-nous prendre soin
de la jeunesse ?

Entretien avec Marwan Mohammed, sociologue au CNRS, sur la complexité des embrouilles de quartier, un phénomène profond. Dans les médias, on parle de « rixe » pour qualifier les violences entre jeunes des quartiers mais ce terme ne recouvre pas la complexité du phénomène. Pour Marwan Mohammed, le terme d’embrouille est plus pertinent. L’embrouille renvoie à des provocations entre groupes de jeunes, ancrées dans une histoire et une culture spécifiques. Contrairement à la rixe, l’embrouille s’inscrit dans un écosystème relationnel et normatif durable, transmis de génération en génération. Il souligne que ces rivalités surviennent principalement parmi une jeunesse populaire en échec scolaire, attachée à des formes de masculinité virilistes. L’émergence des réseaux sociaux a accéléré et amplifié ces conflits, les rendant plus immédiats et visibles. Et l’école ne peut neutraliser totalement ce phénomène. « Trop de rivalités de quartiers et d’interventions policières vont à l’encontre des intérêts des tenants des trafics de stupéfiants. » Souvent associées à la criminalité organisée dans les médias et dans les discours politiques, les embrouilles de quartier n’y sont pas directement liées, car elles sont davantage centrées sur la réputation et l’honneur que sur l’argent. Les réponses traditionnelles des pouvoirs publics reposent souvent sur la surveillance et la punition, avec peu d’efficacité sur le long terme. Marwan Mohammed souligne l’importance des acteurs locaux, tels que les éducateurs spécialisés et les médiateurs sociaux, pour calmer les rivalités et déconstruire les normes de l’embrouille. Il souligne la nécessité de construire un réseau solide d’actions éducatives pour démanteler ces dynamiques. « Le partenariat qui fonctionne mêle prévention spécialisée, médiateurs sociaux, responsables de clubs sportifs, responsables associatifs, militants de quartiers, figures plus de l’ombre… Même si l’éducation populaire est à genoux, la prévention spécialisée en grandes difficultés et le secteur associatif fragilisé, l’enjeu est de bâtir un réseau consistant pour déployer des actions éducatives et déconstruire le rapport au territoire.« 

Laurence Ubrich, « On ne déconstruit pas le virilisme en recrutant du virilisme » Entretien avec Marwan Muhammad, Actualités sociales hebdomadaires, 21 mai 2025

Grande fragilité de la santé mentale des adolescentes. Une étude publiée le 16 mai révèle une hausse brutale et inédite des hospitalisations pour tentative de suicide ou automutilation chez les adolescentes et jeunes femmes entre 2007 et 2022. En 2022, près de 85 000 personnes ont été hospitalisées pour ces motifs, dont 64 % étaient des filles ou des femmes. La progression a commencé entre 2015 et 2019, s’est interrompue en 2020, puis a repris fortement en 2021. Les hospitalisations en psychiatrie ont particulièrement augmenté : +246 % chez les 10-14 ans et +163 % chez les 15-19 ans. Deux tiers des cas sont liés à des intoxications médicamenteuses. Contrairement aux jeunes filles, les hospitalisations pour tentatives de suicide chez les jeunes garçons sont restées stables et à des niveaux inférieurs.

La lutte contre les discriminations et racisme: un chantier immense

Réactivation du plan d’action départemental contre le racisme et les discriminations. Face à la hausse des actes antisémites, le gouvernement français a réactivé les comités opérationnels de lutte contre le racisme, l’antisémitisme, la haine anti-LGBT et les discriminations (Corahd), demandant aux préfets de les réunir deux fois par an. Un plan d’action départemental contre les discriminations, adapté localement et basé sur des diagnostics préalables, doit être élaboré d’ici l’été. Les préfets doivent intégrer ces mesures dans les contrats de ville et promouvoir l’égalité dans les cités éducatives. Un « référent Dilcrah » sera désigné pour coordonner cette politique territoriale. Affaire à suivre.

Dans Le Racisme ordinaire au travail (Erès), la psychologue Marie-France Custos-Lucidi explore les histoires de sept patients, tous victimes de racisme et de discrimination professionnelle. L’ouvrage dévoile leurs souffrances, les entraves psychiques qu’ils tentent de surmonter, et les stratégies de soumission utilisées par leurs supérieurs. Les récits révèlent des similitudes : une quête d’excellence, un travail acharné, et la difficulté d’obtenir des postes correspondant à leurs qualifications. Ils supportent souvent les brimades et, malgré eux, participent à un système oppressif pour sécuriser un titre de séjour ou se hisser dans l’échelle sociale. Ce sont des récits où parcours professionnel et histoire personnelle se mêlent. Ainsi, Abdel, ingénieur en bases de données, se rappelle l’injonction de sa mère à rester discret et éviter les conflits, expliquant sa passivité face aux humiliations professionnelles. Les patients craignent souvent que dénoncer le racisme les expose à des accusations de paranoïa. Custos-Lucidi décrit cette « blessure ultime » et montre comment un système raciste est souvent institutionnalisé. Par exemple, dans l’entreprise d’Inaya, seules des jeunes femmes étrangères vulnérables sont embauchées, révélant un mécanisme de domination organisé. Un ouvrage qui met en lumière les luttes psychologiques et les contextes oppressifs auxquels sont confronté·es les travailleur·euses racisé·es, tout en soulignant la complexité et l’interconnexion des facteurs qui influencent leurs expériences et leurs souffrances.

Le washing des entreprises, un marketing visible. La Banque populaire, partenaire des Jeux olympiques et paralympiques, promeut l’inclusion des personnes en situation de handicap. Cependant, l’une de ses entités, la Banque populaire du Val de France, a été épinglée par le Défenseur des droits pour discrimination envers Arthur M., un salarié handicapé. Malgré sa demande de télétravail pour des raisons médicales, l’employeur a refusé, invoquant l’inefficacité des produits de nettoyage. Le Défenseur des droits a reconnu la discrimination. « Toute leur communication sur le handicap, c’est de l’esbroufe, assure aujourd’hui Arthur M. Ils n’ont aucune considération pour les salariés en situation de handicap. Ce qui compte, c’est de faire du chiffre, point barre. » 

Le sexisme toujours en vogue dans les entreprises. Selon une étude de l’IFOP, un tiers des salariés ont entendu des remarques sexistes sur les femmes en position d’autorité, atteignant 50 % chez les 18-29 ans. Bien que la proportion de femmes managers ait augmenté, atteignant environ un tiers, les obstacles et stéréotypes persistent. Plus de la moitié des travailleur·euses ont entendu des propos sexistes envers des femmes managers, et un tiers des actifs trouvent qu’il est plus facile de travailler avec un homme. De nombreuses femmes ressentent une discrimination, un manque de confiance et un sentiment d’illégitimité, freinant leur progression professionnelle.

Les appels à la haine de Mila enfin pris au sérieux. Aurore Bergé a réagi vivement sur X en annonçant qu’elle saisissait la Dilcrah après des propos tenus dans un espace de conversation impliquant Mila Orriols, victime de harcèlement en 2020, aujourd’hui égérie de l’extrême-droite et du Printemps républicain. Lors de cette conversation nommée « La France au cœur », Mila a exprimé le désir de voir la France humiliée lors des Jeux olympiques à cause de l’immigration massive. Elle a également réagi avec amusement à des événements violents en Israël, où des Juifs auraient agressé des Arabes, exprimant son souhait de le voir. La vidéo de cet échange, diffusée sur X par le compte Cerfia, est devenue virale avec plus de 4 millions de vues. La Dilcrah a réagi en signalant ces propos racistes au procureur de la République, rappelant que l’appel à la haine et à la violence est un délit. De même, l’association SOS-Racisme a décidé de saisir la justice pour « provocation à la haine et à la violence ». Cette affaire illustre la normalisation des propos racistes émanant de personnes ayant un accès à une audience élargie sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les médias, dont témoigne l’invitation de Mila dans la matinale de BFMTV le 8 avril. Arrêt sur images, qui analyse son parcours, conclut en appelant les médias à la responsabilité : « Aujourd’hui, Mila n’est plus seulement “Mila”. Elle est une influenceuse d’extrême droite.« 

L’islamophobie de Charlie. Dans les colonnes du Figaro, Philippe Val s’est déclaré ouvertement « islamophobe » : « Oui, je suis islamophobe. On peut être phobique d’une religion quand elle commence à essayer d’exister par la terreur. Il y a des professeurs qui ont été égorgés. Mes copains ont été assassinés. » Ces déclarations ont provoqué une vive réaction de Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, qui a annoncé son intention de porter plainte, qualifiant ces propos d’« inacceptables » et « dangereux ». La fédération Musulmans de France a également condamné fermement ces propos, les jugeant « inadmissibles, islamophobes et stigmatisants », et envisage également de porter plainte. De même, le Conseil français du culte musulman a condamné fermement ces déclarations, affirmant que ceux qui tentent de réduire le terme « islamophobie » à la critique de l’islam encouragent en réalité la haine antimusulmane. 

Violences policières : un début de justice ?

L’État reconnu responsable dans les violences subies par Geneviève Legay. Deux mois après la condamnation du commissaire à l’origine de la charge contre Geneviève Legay, en mars 2019, l’État est à son tour condamné et déclaré responsable des graves blessures subies.

L’affaire Michel Zecler, symbole de la lutte contre les violences policières en France, voit la fin de l’enquête des juges d’instruction. En novembre 2020, Zecler avait été battu par des policiers lors d’un contrôle, des violences révélées par des vidéos contredisant la version policière. En garde à vue, les policiers avaient reconnu des coups injustifiés. Trois policiers ont été mis en examen pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ». Les juges doivent encore statuer sur deux circonstances aggravantes : le racisme et le faux en écriture publique.

Le chômage abîme les vies
mais le gouvernement accélère

La perte d’emploi est une violence à laquelle s’ajoutent les préjugés. Après plus de vingt ans dans les ressources humaines, Dominique, 55 ans, se retrouve demandeur d’emploi après un licenciement économique en novembre 2023. Après le choc initial, il s’impose une routine stricte de recherche d’emploi. Pour lui, les annonces du premier ministre Gabriel Attal visant à durcir les règles de l’assurance-chômage montre que l’exécutif ne considère pas la réalité psychologique qui accompagne le chômage. « Le travail permet de structurer chaque être humain, quand vous n’avez pas de boulot, vous vous sentez en marge de la société », précise-t-il. Anne-Laure, 60 ans, et au RSA, déplore « un discours qui culpabilise les plus précaires », tandis que Vanda craint de devoir bientôt passer au RSA après la fin de son allocation. Jean-Marie Pillon, sociologue, souligne que le discours du gouvernement « qui considère le chômage comme total et volontaire avec des gens qui passent leur temps à ne rien faire » ne correspond pas à la réalité. Nathalie Hanet, présidente de Solidarités nouvelles face au chômage, ajoute que cela ajoute « une angoisse matérielle de voir ses droits diminuer » au « sentiment de culpabilité d’être au chômage, de la dégradation de l’image de soi ». Les chômeurs ressentent un manque de reconnaissance de leurs efforts et subissent des préjugés persistants fortement encouragés par le gouvernement. Nathalie Hanet appelle l’État et les employeurs à « mettre fin aux préjugés » et à « mieux accompagner ces personnes » pour qu’elles puissent retrouver un emploi.

Jérémie Lamothe, « Sans boulot, vous vous sentez en marge de la société », Le Monde, 23 avril 2024.

Assurance-chômage: cinquième réforme en six ans. Le Monde a obtenu une étude d’impact sur la réforme de l’assurance-chômage, présentée aux administrateurs de l’Unédic le 17 mai. Jusqu’à un tiers des allocataires pourraient être affectés. Les mesures incluent l’augmentation de la « durée d’affiliation » : à sept mois, 11 % des allocataires seraient pénalisés, économisant 400 millions d’euros par an ; à douze mois, 31 % seraient touchés, économisant 2,3 milliards. Réduire la période de référence à dix-huit mois affecterait 32 % des allocataires, économisant 7,5 milliards. Les syndicats, dont Olivier Guivarch (CFDT) et Denis Gravouil (CGT), critiquent ces réformes, les qualifiant de « catastrophiques ».

Bertrand Bissuel et Thibaud Métais, Assurance-chômage : la réforme pourrait affecter jusqu’à un tiers des allocataires, Le Monde, 18 mai 2024

Tentative de la dernière chance. Le groupe parlementaire Liot prévoit de présenter le 13 juin une proposition de loi pour contrer les nouvelles mesures gouvernementales sur l’assurance chômage, qui verraient des économies significatives mais toucheraient durement les précaires. Leur texte vise à protéger le modèle d’assurance chômage et soutenir l’emploi des seniors. Il prévoit notamment un plancher de dix-huit mois pour l’indemnisation, un plafonnement du nombre de jours de travail requis, et la libération des acteurs sociaux des contraintes réglementaires gouvernementales. Les syndicats soutiennent la proposition de loi présentée par le groupe parlementaire Liot pour contrer les nouvelles mesures gouvernementales sur l’assurance chômage. Marylise Léon de la CFDT accueille favorablement cette initiative, soulignant le besoin de discuter clairement de l’assurance chômage. Sophie Binet de la CGT s’interroge sur les motivations du gouvernement à réformer l’assurance chômage pour la cinquième fois en six ans, exprimant ainsi son soutien à la proposition de loi.

Les associations du collectif Alerte, par une note publiée le 24 avril, expriment leurs préoccupations sur la création de France Travail et la contractualisation du RSA à 15 heures d’activités. Elles craignent un renforcement du contrôle social et des sanctions financières pour les allocataires ne réalisant pas leurs heures d’activités, ce qui pourrait « paupériser des personnes déjà en difficulté » selon Noam Leandri, président du collectif Alerte. Le collectif critique l’opacité des expérimentations menées dans 18 territoires et appelle à des initiatives garantissant des emplois. Henri Simorre d’ATD Quart Monde souligne que les expérimentations actuelles sont peu adaptées aux plus vulnérables, malgré un certain succès en termes d’accompagnement vers l’emploi. Le collectif craint que l’obligation d’inscription à France Travail, effective en 2025, impose de nouvelles contraintes administratives sans un financement clair avant 2027. Ils demandent à être consultés par le gouvernement avant la publication des décrets. Une réunion avec la ministre du Travail, Catherine Vautrin, est prévue.

Flora Peille, RSA : le gouvernement improvise, selon le collectif Alerte, Actualités sociales hebdomadaires, 24 avril 2024.

Capitalisme et colonialisme :
TotalEnergies en questions

Pendant ce temps, TotalEnergies œuvre pour sa prétendue décarbonisation grâce au colonialisme au Pérou. Son patron, Patrick Pouyanné, a promis d’être neutre en carbone d’ici 2050, grâce au principe de compensation carbone qui permet aux entreprises de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en finançant des projets qui séquestrent le carbone. C’est pour cela que TotalEnergies à acheté pour 84,7 millions de dollars de « crédits carbone » stockés par les arbres du parc national de la Cordillera Azul au Pérou. Mais la création de ce parc national en 2021 s’est faite au mépris de l’occupation du territoire par les Kichwa, qui en sont désormais dépossédés sans bénéficier des retombées économiques. Marisol García Apagüeño, présidente de la Fédération des peuples autochtones kichwas de Chazuta en Amazonie, est à Paris à l’occasion de l’assemblée générale des actionnaires de TotalEnergies afin de dénoncer la violation des droits humains fondamentaux que subissent son peuple au profit du géant pétrolier français. « Nous sommes dépendants de la forêt pour vivre, et la forêt amazonienne existe encore dans cette région du Pérou car nous en prenons soin en prélevant uniquement ce dont nous avons besoin pour nous nourrir et nous soigner. Il ne faut pas oublier que 80 % de la biodiversité mondiale est sous la responsabilité directe des populations autochtones. »